C’est une constante depuis le début de son mandat : Emmanuel Macron est atteint d’une forme de schizophrénie – ou de perfidie, dirions-nous plutôt – qui le pousse à multiplier belles paroles, proclamations d’idéaux généreux, d’humanisme vibrant, d’écologisme fervent, tandis que le gouvernement s’acharne à mener une politique inverse, qui sacrifie avec ardeur ces grands principes et l’intérêt commun au profit des lobbies et de l’oligarchie. Il nous faudrait beaucoup de journées de travail pour revenir, un par un, sur l’ensemble de ces reniements, avec sources et analyses. Pour un livre par exemple, où il serait question de manipulation et d’imposture, l’histoire se répétant. Mais prenons le train « En Marche » et attachons-nous aujourd’hui à les relever.

Parce qu’un cran supplémentaire semble avoir été franchi : la crise sanitaire du coronavirus donne des ailes au président, qui virevolte désormais sur un discours digne de L’Avenir en commun, comme s’il s’était soudain converti aux thèses de la France insoumise. Lisez plutôt : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » (12 mars 2020). Nous objectons pour notre part que ce n’est pas la pandémie qui le révèle, certains le réclamant depuis fort longtemps : c’est exactement par exemple ce que répète Jean-Luc Mélenchon, inlassablement depuis des années. La pandémie aura simplement joué le rôle de révélateur, pour ouvrir des yeux jusqu’alors aveuglés par les veilles lunes libérales. Mais quels sont ces biens et services, la santé, mais aussi l’eau, l’énergie, l’éducation, les transports ? Et quid dans les faits de les placer en dehors des lois du marché, comment, quand ? Gageons que cette proclamation d’intention restera lettre morte.
« Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe », poursuit fougueusement le président. Ce n’est pas comme si les personnels de santé, en charge de ce service public fondamental, n’étaient pas en lutte, durement réprimée, pour réclamer davantage de moyens depuis plus d’un an ! Encore une fois non, la pandémie ne révèle rien, si ce n’est le caractère insupportable de la marchandisation du système de santé, sommé de son conformer au régime des entreprises privées, avec une absurde exigence de rentabilité. Politique initiée notamment par la loi Hôpital de Roselyne Bachelot, sous l’ère sarkoziste, et consciencieusement amplifiée depuis par François Hollande, ci-devant fossoyeur de la gauche, et Emmanuel Macron lui-même. Mais promis, c’est fini, « rien ne sera plus comme avant ». Chiche ?
Même scepticisme concernant cet autre extrait : « il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. » Qui croit Macron capable de changer ainsi de cap et de tourner le dos au capitalisme financiarisé mondial, même en se réinventant, « moi , le premier », ainsi qu’il le promet le 13 avril ? « Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai » : on demande à voir.
Un dernier exemple toujours tiré de celle Adresse aux Français du 13 avril : « Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans. Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. » Diable, Macron cite la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ! Là encore, nous attendons les actes en accord avec le discours. En l’occurrence une augmentation massive des salaires des personnels de santé, des éboueurs, chauffeurs routiers et autres caissières de supermarché (liste non exhaustive). Notre petit doigt nous dit que nous allons attendre longtemps.