Juin 172020
 

De 58 milliards à… 500 : le chiffre dont s’est vanté le président hisse le mensonge à une échelle stratosphérique. Dans l’indifférence quasi-générale.

« Super-menteur » : les Guignols avaient ainsi surnommé Chirac et Sarkozy s’était ensuite aisément glissé dans le costume. Mais Macron les fait aujourd’hui passer pour des amateurs.

« Nous avons mobilisé près de 500 milliards d’euros pour notre économie, pour les travailleurs, pour les entrepreneurs, mais aussi pour les plus précaires. C’est inédit. Et je veux ce soir que vous le mesuriez aussi pleinement. Dans combien de pays tout cela a-t-il été fait ? C’est une chance et cela montre la force de notre État et de notre modèle social. »

Emmanuel Macron, 14 juin 2020

Devant notre écran de télévision comme 23,6 millions de Français, nous avions certes un peu sursauté : tant que cela ? « 500 milliards », mince, ça en fait de l’argent magique* ! Sauf qu’il s’agit d’argent imaginaire. Mais l’invraisemblable multiplication (par 8,6, comme la bière !) qu’a opérée Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée n’a pas fait les gros titres de l’actualité, bien que démontée par plusieurs confrères. Comme si le mensonge en politique ne choquait plus personne, tant il est devenu habituel. L’opinion est-elle mithridatisée ? Plutôt écœurée, sur l’air du « tous des menteurs, tous des voleurs, tous pourris ! », qui fait prospérer le meilleur ami du président, le vote d’extrême droite, son assurance-vie de réélection. Mais n’oublions pas le principal : aussi peu relevée, cette élucubration des 500 milliards passe pour vérité auprès de la grande majorité des citoyens.

Tout tient d’abord dans l’usage du mot « mobilisé », comme l’écrit très prudemment notre confrère du « quotidien de révérence référence » : « Selon les données communiquées au Monde par le ministère de l’Action et des Comptes publics, l’État a effectivement «mobilisé» 463 milliards d’euros pour lutter contre les conséquences du Covid-19, y compris celles liées au système de santé, soit un total proche du chiffre mentionné par le chef de l’État. » Bon, de 463 à 500, on n’est plus à cela près, penserez-vous. Mais gardez-vous bien d’en rester là : en fait, « Le chiffre impressionnant avancé par Emmanuel Macron ne comprend en réalité «que» 58 milliards d’euros de dépenses effectives« . Comment passe-t-il ainsi de 58 à 500 ? Facile, il compte les garanties accordées par l’État, qui représentent à elles seules 327 milliards d’euros potentiellement dépensés. Les entreprises souscrivent des prêts et, si jamais elles venaient à faire défaut – qu’elles ne les remboursaient pas -, c’est l’État qui mettrait alors la main à la poche. Autrement dit, seul un pourcentage infime de ces sommes sera effectivement dépensé. Ajoutons à cela 32,5 milliards d’aides en trésorerie et en capital, qui ne sont que des avances aux entreprises, donc ne sont pas dépensés non plus. La conclusion du Monde marche sur des œufs : « Le chiffre de 500 milliards d’euros peut donc porter à confusion quant au niveau des dépenses réelles de l’État pour lutter contre les conséquences de l’épidémie ». Porter à confusion, sans rire ?

Nous préférons la formulation utilisée par Regards, beaucoup plus explicite : « Emmanuel Macron a déclaré avoir «mobilisé près de 500 milliards d’euros pour notre économie». C’est une fake-news« . Qui alerte en outre d’une « entourloupe sur le financement de la sécurité sociale » : « Le déficit 2020 de la sécurité sociale devrait être supérieur à 50 milliards d’euros (…) [L’État] ne prendra pas à son compte le financement de ce déficit supplémentaire et qui va perdurer plusieurs années. (…) Cela a deux conséquences : dès maintenant, comme le souligne Thomas Piketty, et contrairement à ce qu’a affirmé le président de la République, des augmentations d’impôts ont été décidées. Mais pas ceux qui devraient l’être. Créée en 1996, la CRDS (Contribution au remboursement de la dette sociale) qui équivaut à un prélèvement de 0,5% sur tous les revenus des Français «des plus bas jusqu’aux plus hauts» devait être supprimée en 2024. «Le principe de prolonger ce prélèvement pendant dix ans» a été adopté. Et pour demain, cela annonce de nouvelles attaques contre la sécurité sociale. »

Edit : l’humoriste Nicole Ferroni consacrait justement son billet de ce matin sur France Inter à ce mauvais coup porté à la Sécurité sociale

*: « Il n’y a pas d’argent magique » : formule utilisée par Macron devant des infirmières en avril 2018.

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