En pleine réforme contrainte et forcée à la fois par la Cour européenne, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, le secrétaire général du Syndicat de la magistrature met les pieds dans le plat : oui, l’explosion du nombre de gardes à vue est directement liée à la politique sarkozyste ultrasécuritaire et liberticide menée depuis 2002. Réquisitoire.
Les faits sont connus et nous avons du reste consacré nombre de papiers à cette « politique du chiffre », mais il est toujours bon de rappeler certaines évidences qu’aimerait nous cacher un pouvoir manipulateur. Relayons par conséquent joyeusement la déclaration de Mathieu Bonduelle, qui n’est rien moins que le secrétaire général du Syndicat de la magistrature : « La garde à vue est devenue un indicateur de performance du travail policier.
C’est un peu comme si on disait qu’un juge va être payé au nombre de personnes incarcérées. Je ne dis pas que le policier lui-même est payé comme ça mais les commissaires touchent des primes en fonction du nombre de gardes à vue réalisées dans leur commissariat. Les crédits du commissariat dépendent de ce nombre-là. Vous comprenez bien que cela motive à placer en garde à vue, y compris des gens qu’on n’aurait pas dû placer en garde à vue. Le premier facteur de cette explosion [des gardes à vue] n’est pas juridique, il est politique. C’est ce qui s’appelle la politique du chiffre qui est dénoncée pour le coup par tous les syndicats de policiers, qui est complètement déniée par le gouvernement. » Les derniers chiffres donnent le score, en ajoutant celles consécutives à des délits routiers, de quelque 900 000 gardes à vue dans notre beau pays en 2009. Et l’on voit mal ce qui pourrait changer tant que nos UMPistes continueront d’imposer à la police cette politique du chiffre idiote et liberticide. En attendant, l’hypocrisie continuera : d’un côté, l’on convient qu’il y a trop de gardes à vue – les chiffres sont là et donnent le tournis -, mais on fait tout de l’autre pour multiplier leur nombre !
Les faits sont connus, disions-nous en introduction. Ce n’est ainsi pas la première fois que le syndicat de Mathieu Bonduelle s’exprime sur le sujet. Il l’avait fait avec une force et une clarté telles en juillet 2009 que, relisant nos archives pour écrire ce présent billet, nous jugeons salutaire et pédagogique d’à nouveau diffuser ce message. L’article avait pour titre Fillon et la garde à vue, l’hypocrisie totale : « La garde à vue ne peut pas être un instrument banal de procédure. La privation de liberté est un acte grave qui doit rester exceptionnel », a déclaré le Premier ministre devant la Commission nationale consultative des droits de l’Homme. Il est gentil, François Fillon. Mais il se moque un peu (beaucoup) du monde. C’est comme si, sous l’impulsion de Sarkozy, la droite de laquelle il est un des dirigeants majeurs n’avait pas eu de cesse, depuis 2002, de durcir sans cesse sa politique dans le sens d’une hystérie sécuritaire. Mais trêve d’oiseux commentaires de notre part : le Syndicat de la magistrature, dans le communiqué de presse que nous découvrons via Torapamavoa, remet les pendules à l’heure de façon exemplaire, si bien que nous reproduisons tel quel son réquisitoire.
« Manifestement, M. Fillon n’ignore donc pas que la réalité des pratiques policières n’est pas tout à fait conforme aux dispositions de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, dont il résulte notamment que «les mesures de contraintes doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure et proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée». De fait, le nombre de gardes à vue a explosé ces dernières années, sans rapport avec l’évolution de la délinquance. Selon les statistiques du ministère de l’Intérieur, il est ainsi passé de 336 718 à 562 083 entre 2001 et 2007, soit une augmentation de 67% (qui dépasse les 70% pour les gardes à vue de plus de 24 heures). Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les témoignages de gardes à vue abusives se multiplient, suscitant presque toujours l’indifférence des pouvoirs publics. En réalité, tout se passe comme si la garde à vue était devenue, pour reprendre l’expression du nouveau président de la CNCDH , Yves Repiquet, «la moindre des choses». Ce que ne dit pas M. Fillon, c’est que cette banalisation inquiétante est le résultat d’un double mouvement, étroitement lié au tournant sécuritaire de 2001, qui s’est nettement accéléré avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002 et qui n’a pas cessé depuis : l’accumulation de textes aveuglément répressifs d’une part et la soumission de l’activité policière à la pression statistique de la «politique du chiffre» d’autre part. Lorsqu’on crée sans cesse de nouvelles incriminations de plus en plus floues, lorsqu’on supprime la notification du droit au silence en garde à vue, lorsqu’on augmente la durée de cette mesure (ex : 96 heures en matière de stupéfiants, jusqu’à 144 heures en matière de terrorisme), lorsqu’on diffère l’intervention de l’avocat, lorsqu’on refuse de généraliser l’enregistrement audiovisuel des auditions, lorsqu’on fait de la garde à vue un «indicateur de performance» du travail policier, peut-on encore sincèrement s’étonner de la transformation de cette mesure privative de liberté en «instrument banal de procédure» ? Ce dévoiement n’est pas le produit du hasard, il est le fruit d’une volonté politique, qui est aussi celle de François Fillon. Récemment encore, son gouvernement a d’ailleurs vivement soutenu la proposition de loi de Christian Estrosi visant à créer un délit d’appartenance à une «bande», tellement vague qu’il permettra de placer des personnes en garde à vue sur une simple suspicion d’intention.
Ce que ne dit pas non plus M. Fillon, c’est que la réalité des gardes à vue françaises est également souvent éloignée de la dernière prescription de l’article préliminaire du Code de procédure pénale : «ne pas porter atteinte à la dignité de la personne humaine». Ainsi, selon le rapport du Contrôleur général des lieux privatifs de liberté pour l’année 2008, dont on attend toujours la traduction politique, «la plupart des lieux de garde à vue restent dans un état indigne pour les personnes qui y séjournent» et «ce sont, en l’état actuel, les lieux de privation de liberté dans lesquels est la plus malmenée l’intimité des personnes qui y passent». Ce qu’oublie enfin de préciser M. Fillon, c’est que les personnes gardées à vue sont systématiquement fichées, sans aucune garantie d’effacement en cas de mise hors de cause. Son gouvernement est d’ailleurs l’auteur d’un récent projet de «loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure» (dite Loppsi 2) qui permet notamment de maintenir dans les fichiers dits «d’antécédents» des personnes qui, en réalité, n’en ont pas, puisqu’elles ont bénéficié de décisions d’acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée. En matière de libertés, les mots sont importants, mais les actes davantage. »
Et maintenant ?
Faute d’une baisse extrêmement significative du nombre des gardes à vue, qui suppose donc un improbable complet revirement de la politique ultrasécuritaire UMPiste, la présence de l’avocat durant la totalité des auditions et confrontations, désormais requise par la loi comme l’a voté hier l’Assemblée, va rendre la situation plus qu’explosive : sur France Info, le représentant d’un syndicat du barreau estimait que la somme de travail qui reposera désormais sur les conseils des gardés à vue va être multipliée par dix, et réclame par conséquent… un budget dix fois supérieur, de 17 à 170 millions d’euros. Nos Tartuffe gouvernementaux vont encore nous seriner : « on n’a plus d’argent ! » (sauf pour les cadeaux aux riches et au patronat bien-sûr…) Nouveau mouvement social en robe noire à prédire.
Mais les dés en sont jetés : présence de conseils durant toute la procédure il y aura. « Les avocats saluent de concert une «avancée», signale Libération, tout en rappelant que cette évolution était inéluctable, la France ne pouvant plus s’y soustraire après les rappels à l’ordre de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel. » Ce qui fait quand même beaucoup. Contraints et forcés, donc, nos hystériques sécuritaires se résolvent à devoir tolérer la présence d’un gêneur quand il s’agit d’extorquer des aveux ou de se laisser aller à quelques petits tabassages entre amis. Mais l’UMP a lâché le minimum de lest : « le texte prévoit des exceptions assez larges à la présence de l’avocat, via des cas dérogatoires où l’arrivée de l’avocat pourra être différée. Le délai est de douze heures en droit commun si le procureur estime qu’il y a «des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête», par exemple des investigations urgentes à mener. De vingt-quatre heures pour des délits punis d’une peine d’au moins de cinq ans et soixante-douze heures dans les affaires de terrorisme. (…) Surtout, le contrôle des mesures de garde à vue restera sous le contrôle du parquet, dont l’indépendance est régulièrement remise en cause du fait de sa soumission hiérarchique à l’exécutif (Ah bon ? NdA). En décembre, les députés avaient pourtant adopté en commission des lois un amendement prévoyant de placer la garde à vue sous le contrôle du juge des libertés et de la
détention (JLD), magistrat indépendant. Revirement hier à l’Assemblée. » «Je ne crois pas que le parquet, autorité de poursuite et partie au procès, puisse contrôler cette mesure de détention», euphémise le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, Jean Castelain, à qui nous cédons volontiers le mot de la fin.
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Idem pour les inspecteurs d’académie nettoyeurs avec primes somptuaires liées aux suppressions de postes ! C’est ça la dictature.
Préambule à la constitution française des Droits de l’ Homme
Article 9
« Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. »
Plus tard sauf exception de culpabilité flagrante
Maintenant, encourager les rétentions par des primes aux représentants de la loi ? Gare aux rafles !!
« N’ ayant pas été reconnu coupable de cette agression, le suspect a été gardé en détention jusqu’ à ce qu’ il avoue ». « Il fut hospitalisé après avoir reçu les injures nécessaires ».
C’ est une blague mais qui ne donne plus envie de rire.
Bonsoir,
je m’etais amuser à compter le nombre de GAV en 10 ans et j’étais arrivé à 5 millions, au bas mot. Multiplier par 2 ou 3 pour y compter l’entourage, marqué, choqué, revolté. Je me dis quand même que cela doit laisser des traces dans la population.
Dans de nombreux pays limitrophes, les gendarmes respectent le mieux possible le prevenu, car ils ont compris eux, que si on le torture avec brimade, violence et bien ils ne pourrons rien en tirer.
par contre chez nous, le but de la justice est de detruire coute que coute par tout les moyens. Comment 40 magistrats ont pu voir passer l’affaire outreau sous leur yeux, sans piper mot. comment explique t’on que les psy en milieu carcérage vous explique, outre être payé comme uine femme de ménage, explique aux detenus que ma fois, s’il a tout perdu c’est uniquement de sa faute et que s’il s’est fait violé et bien tant pis pour lui voire c’est bien fait.
inutile de soulever le point goldwin, mais ne peut on imaginer que tous les nazis et autres tortionnaires est disparu comme par enchantement apres 39/45. Dans quelle tranche de la société se sont ils fondue pour eviter d’etre reperer…
a votre avis….je pense a la justice, veritable ramassis de sadique en tout genre, je veux dire ceux qui se couche le soir, en bon pere de famille satisfait du travail accompli: 20 ans par ci 10 ans par là.
S’ils etaient raisonnés ils ne dépasseraient pas certaines bornes mais comme le pouvoir rend fou, ils ont un boulevard pour vivre leur névrose….alors…
je finirai par la gendarmerie, ce ne sont pas eux qui a drancy et compiegne encadraient les wagons de femmes et d’enfants direction l’est.
Pour finir donc quand on est capable de faire 1 millions de GAV en un an, quand on est capable de mettre des personnes dans des camps de tortures que sont les prisons, quand on est capable de détruire le tissu social, le tissu famillial du détenu alors il faut une predisposition, voire etre né salaud
Amis lecteur, vous rendez vous compte que à force de traiter les prisonniers comme de la viande, cela nous reviendra en pleine g…..
bien a vous
En te lisant, je pense à Fabius qui déclarait sur un autre sujet « bonnes questions, mais mauvaises réponses ».
Y a pas de prédispositions génétiques à être flic ou juges, pas de filière « robe » ou « képi » pour le nazis et leurs rejetons.
Une politique à la fois d’assèchement des moyens matériels et humains et d’alignement sur le profit. La police/justice doit être rentable d’où les quotas, de GAV, d’amendes, d’où les peine planchers, etc…
La justice/police doit faire peur.
Deux volets essentiels du projet d’effacement de la démocratie, de la citoyenneté et de prise en main des populations par les fascistes au pouvoir.
Qui sont les plus démunis dans l’ histoire ? Les établissements de détention (prison, hôpitaux psy) ou ceux qui s’ y trouvent ?. Incompétence ?. Manque de moyens ?. Pour faire partie du personnel, il ne faut pas faire de sentiments sinon on est évacué du système. Le système est encore et toujours comme autrefois mais il est moins cruel. Néanmoins, il est cruel parce qu’ il n’ y a pas le choix. Il s’ en passe des choses dans les hôpitaux. Faut droguer tout le monde sinon ça deviendrait insupportable. Tous ces patients impatients. Ils ne font pas que tourner en rond. Certains tournent aussi sur eux-mêmes. C’ est leur problème. Certains entendent des voix. D’ autres, au beau milieu de tout cela, se permettent une belle crise d’ angoisse alors certains font valser les objets et se retrouvent attachés pour plusieurs jours, voire des mois, sur un lit. Ils hurlent mais on ne sait pas d’ où ça provient. Encore un détraqué qui pique une crise de nerf. A côté de ça, le personnel est aimable, souriant, insouciant. On se sent mal ?. On nous emmène doucement par la main. Il faut rester enfermé pour un bien quelconque. Si on est fumeur, pas de soucis. Toutes les deux heures, on viendra vous chercher pour fumer une cigarette. Quelquefois 4 h passent mais ils n’ ont pas que cela à faire. Ils travaillent eux. Ils y a aussi des petits vieux qui attendent une maison de retraite et qui ont fait sous eux. Alors, soit on tambourine, soit on se retient mais on ne pense plus qu’ à cela : la minute de la cigarette. La prison c’ est pire. La peur des autres (pas à l’ hôpital), le bruit des grilles … La, on ne vous prend pas par la main. Et, au-dessus de toute cette misère, nos indignes corbeaux qui nous répertorient.
[…] h 59 – Dans notre récent article Réforme de la garde à vue : l’hypocrisie continue, nous citions le syndicat de la magistrature dénonçant « un double mouvement, […]