Nov 202010
 

Dominique de Villepin était donc invité hier soir au 20 heures de TF1 pour s’expliquer après l’annonce d’une plainte des familles de victimes de l’attentat de Karachi à venir le concernant (avec Jacques Chirac et des cadres de la Direction de la construction navale), pour « mise en danger de la vie d’autrui et homicide involontaire ». Et il a confirmé ce qu’avait déjà dit au juge l’ancien ministre de la Défense Charles Millon : « Distinguons deux choses : il y avait les commissions légales et il y avait des commissions qui revenaient vers la France, vers des personnalités, politiques ou non politiques, qui elles, étaient totalement illégales. Jacques Chirac (…) a demandé au ministre de la Défense Charles Millon de bien vouloir approfondir ce dossier et de l’éclairer. Charles Millon a mis ses services au travail, il a demandé des informations… Il est apparu que de très forts soupçons de rétro-commissions existaient dans deux dossiers, deux contrats : un contrat avec le Pakistan, contrat des sous-marins, et un contrat avec l’Arabie Saoudite. A partir de là, le président de la République a donc décidé d’interrompre les versements de commissions pouvant donner lieu à rétro-commissions. » L’ancien secrétaire général de l’Elysée de l’époque se dédouane ensuite du danger que faisait peser sur les personnels de la DCN en poste au Pakistan l’arrêt de ces versements en parlant de simples « craintes », puis en mettant en avant le délai entre cette décision de 1995 et l’attentat survenu en 2002 – pour lequel Guillaume Dasquié (de Libérationavance une explication.

Réaction furibarde de Claude Guéant, actuel secrétaire général de l’Elysée et véritable bras droit de Nicolas Sarkozy – à l’époque directeur adjoint du cabinet du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, soutien du candidat… Balladur : « Le devoir de vérité auquel chacun doit contribuer dans cette affaire douloureuse ne doit pas favoriser pour autant les interprétations les plus fantaisistes. Il n’est en particulier pas acceptable que ce drame soit utilisé comme un argument de circonstance pour alimenter la démarche entreprise par ceux qui n’ont d’autre préoccupation que d’impliquer le chef de l’Etat, par une succession d’insinuations, dans une affaire qui ne le concerne en rien. » Les familles de victimes lui répondent dans un communiqué que publie Guy Birenbaum : « Nous n’avons pas comme préoccupation d’impliquer le chef de l’Etat, nous cherchons simplement à connaître la vérité sur les circonstances entourant la mort de nos proches. Je tiens également à vous rappeler un mémo du procureur Marin lui même, établi en 2007 et rapprochant le nom de Nicolas Sarkozy aux societés off shore Heine et Eurolux, ainsi que les échanges ayant eu lieu entre notre actuel Président et JM Boivin* dont le contenu est désormais connu de tous.«  Poursuivons la lecture des offusquations guéantesques : « A ces approximations s’ajoutent des allégations calomnieuses, parfois présentées comme de prétendues certitudes, portées contre la personne ou l’action de Nicolas Sarkozy et qui ne reposent cependant sur aucun commencement de preuve. » Réponse des familles : « Ces «approximations» viennent d’être confirmées par l’ancien sécrétaire général de l’Elysée devant des millions de téléspectateurs. Et puis… ne devez vous pas laisser la justice faire son travail ? Ne devez-vous pas respecter la séparation des pouvoirs ? » Guéant à nouveau : « Affirmer sans autre forme de procès que les conditions du marché d’armement Agosta avec le Pakistan auraient eu pour conséquence de contribuer illégalement au financement de la campagne électorale du Premier ministre de l’époque, dont les comptes ont été validés par le Conseil constitutionnel, relève de la rumeur malveillante qui vise à jeter le discrédit sur la vie politique de notre pays. Nicolas Sarkozy n’a par ailleurs jamais été le responsable, ni le trésorier, de la campagne d’Edouard Balladur. Il en était le porte-parole. De même, à aucun moment alors qu’il était ministre du Budget de 1993 à 1995, Nicolas Sarkozy n’a eu à approuver des commissions relatives à des marchés à l’exportation, la procédure d’agrément préalable en cette matière ayant été supprimée dès le mois d’octobre 1992. De plus, la négociation des contrats d’armement évoqués avait été engagée bien avant que Nicolas Sarkozy ne devienne ministre du Budget. » Réponse perfide des familles : « Mais les intermédiaires douteux sont justement apparus alors que le contrat était quasiment signé… » 

Le grand chambellan de Sarkozy conclut par cette superbe tartufferie : « Ces amalgames ne contribuent pas à la sérénité nécessaire au débat judiciaire. » Faut-il rappeler que le pouvoir n’a eu de cesse dans cette affaire de mettre des bâtons dans les roues à la justice ? « En ce qui concerne l’ouverture de l’information instruite par M. Van Ruymbeke, il a fallu que nous nous battions pour l’obtenir et encore, avec un champ restreint. Nous nous battons encore à ce jour pour obtenir que l’intégralité de l’affaire soit instruite. Sur ce point, nous ne vous remercions pas de l’appel de parquet concernant l’ordonnance rendue par ledit juge », rappellent les familles. « Aucune demande de document n’a jusqu’à présent fait l’objet d’un refus », ose encore Guéant. Les familles ont beau jeu de lui rétorquer : « Pas de refus mais des transmissions partielles… 4 pages d’un rapport en contenant près de 200… le compte n’y est pas. » Toujours dans la même démarche de tenter d’empêcher les investigations, une autre précision : « Le juge Trevidic avait établi une demande de déclassification circonstanciée demandant que lui soient transmis l’intégralité des documents classifiés nécessaires à la recherche de la vérité. Le ministre de la Défense Hervé Morin avait alors fait savoir que toute la lumière avait été faite et que tous les documents avaient été transmis. Or, à plusieurs reprises, des documents ont «miraculeusement» été retrouvés au fur et à mesure de la pression se faisait plus forte. » Enième illustration enfin de la mauvaise volonté manifeste du Pouvoir, la protestation de Bernard Cazeneuve, rapporteur de la mission parlementaire : « La mission regrette le refus du gouvernement de lui communiquer toute source documentaire de première main, malgré ses nombreuses demandes ».

Comment Balladur, sans l’appui du parti acquis à la cause de Chirac, a-t-il pu financer sa campagne, réunissant la somme de 89,776 millions de francs, suivant les comptes du Conseil constitutionnel ? Intéressant « détail » livré par Le Monde« l’association pour le financement de la campagne d’Edouard Balladur aurait touché 10 millions de francs en liquide, quelques jours avant la fin de sa campagne, selon les révélations de Libération, qui s’appuie sur des documents bancaires, publiés par Mediapart. Faux, rétorque l’ancien premier ministre dans Le Figaro. Il prend appui sur le fait que le Conseil constitutionnel a validé ses comptes de campagne sans y trouver à redire ». « Une question demeure : pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il validé les comptes de campagne d’Edouard Balladur si ceux-ci étaient entachés d’irrégularités ?, interroge Le Monde dans un autre articleLe juge Trévidic demande à consulter les archives des délibérations. Mais Jean-Louis Debré, l’actuel président du Conseil constitutionnel, renâcle. A une première requête de l’avocat des victimes, Me Morice, qui souhaite organiser une rencontre entre elles et lui début octobre 2010, il répond par la négative. Il explique par ailleurs au Monde qu’il « faudrait [qu’il y ait] une bonne raison pour rapatrier les archives » des délibérations de 1995. « Donc, en l’état, je ne vois pas comment tirer les choses au clair », conclut M. Debré. Début novembre 2010, Jean-Louis Debré refuse une nouvelle fois de divulguer le contenus des débats, cette fois au juge Van Ruymbeke. Dans un courrier, il lui oppose le « secret qui s’attache aux délibérations » du Conseil constitutionnel, s’appuyant sur l’article 63 de la Constitution pour estimer qu’il faut attendre vingt-cinq ans avant de rendre publics les débats entre les « sages ». Michèle Alliot-Marie, alors garde des sceaux, a pourtant garanti, à l’Assemblée, que le juge pourrait consulter ces archives. Interrogé par Le Monde, Roland Dumas, le président socialiste du Conseil constitutionnel en 1995, ne semble pas, quant à lui, se rappeler de cet épisode troublant : « Je n’ai pas le souvenir d’avoir infirmé le rapport des rapporteurs, assure-t-il au Monde. Je ne me souviens pas qu’il y ait eu le moindre problème sur les comptes de campagne de M. Balladur, comme je ne me rappelle pas que leur rejet ait été préconisé. Pourtant, j’étais quand même dans l’opposition à cette époque… »

« Même opacité du côté de l’Assemblée, poursuit Le Monde : Lorsque Marc Trévidic demande à consulter les auditions de la commission d’enquête de Bernard Cazeneuve, le président de la commission de la défense, l’UMP Guy Tessier, refuse sèchement. Le juge se tourne alors vers Bernard Accoyer.  Mais le président de l’Assemblée nationale (UMP lui aussi, NdA) refuse à son tour, arguant de la « séparation des pouvoirs » et de la confidentialité de ces auditions. Une plainte a été déposée contre lui par les familles de victimes pour « entrave à la justice. » Guéant reprend le même argumentaire : « Il convient de souligner que les positions récemment adoptées, pour ce qui les concerne, par le Conseil constitutionnel et par l’Assemblée nationale de ne pas communiquer certaines informations ne sont fondées que sur le respect des exigences découlant de la Constitution et de la loi. Cela n’a rien à voir avec la protection du secret de la défense nationale. » Il est là encore contré par les familles des victimes : « Pour ce qui concerne la position de Mr Accoyer, pourquoi ce qui a été possible dans les dossiers Rwanda et Urba ne l’est pas pour le dossier Karachi ? » Peut-être tout simplement parce que, dans l’affaire présente, il apparaît de plus en plus clairement que l’actuel président de la République est directement impliqué dans un vaste système de corruption !

* Nous reviendrons ultérieurement sur ce volet de l’affaire, digne d’un roman d’espionnage qu’on pourrait titrer Le maître-chanteur, les barbouzes et le candidat à la présidentielle.

Mémo – voici les différents articles parus sur plumedepresse à propos de ce dossier :

1 – Sarkozy impliqué dans l’attentat de Karachi : ni « ridicule », ni « grotesque », Monsieur le président ! : comment d’éminents dignitaires pakistanais ont perpétré l’attentat pour faire pression et se venger de Jacques Chirac, coupable d’avoir mis un terme à un mécanisme de corruption dont le grand bénéficiaire français était l’ancien Premier ministre Édouard Balladur.

2 – De Balladur à Sarkozy : le ministre du Budget de l’époque a approuvé la création d’une structure destinée à siphonner des rétro-commissions de ventes d’armes, connaissant forcément par définition l’utilisation qui en serait faite, ladite utilisation étant finalement avérée dans la transaction occulte avec les dignitaires pakistanais. Par conséquent, Sarkozy savait forcément que le financement de la campagne présidentielle dont il était le directeur provenait d’une caisse noire transitant par la société créée sous ses auspices de ministre du Budget.

3 – Vers l’inéluctable étouffement ? : démontage en règle de la pathétique défense de Sarkozy, pourtant accusé par tant d’éléments précis, et mécanismes législatifs mis en oeuvre par le Pouvoir pour empêcher que la lumière puisse être faite, sur cette affaire en particulier et sur tout autre dossier gênant dans l’avenir.

4 – L’étau se resserre autour de Sarkozy : deux témoignages capitaux sont récemment venus préciser le mécanisme de corruption mis en place et l’implication directe de Sarkozy.

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  10 commentaires à “Scandale Karachi: Villepin confirme, Guéant nie mais les familles de victimes contrent”

  1. […] This post was mentioned on Twitter by guybirenbaum, Olivier Bonnet, Olivier Bonnet, Arnocast, David Burlot and others. David Burlot said: RT @OlivierBonnet: Scandale #Karachi: Villepin confirme, Guéant nie mais les familles de victimes contrent http://alturl.com/7pkrt […]

  2. Pour donner plus de profondeur dans la vérité à votre article, surtout au sujet du Conseil Constitutionnel, vous auriez dû vous référer à ce qui est arrivé au même moment à Jacques Cheminade et qui est toujours d’actualité. Je ne suis pas un fan de Solidarité et Progrès, mais c’est tout de même une information qui pourrait éclairer tout le reste.

    Voir : http://www.cheminade2012.fr/Le-spectre-de-1995-apparait-en-2010

  3. Le JDD : Comment réagissez-vous à la déclaration de Nicolas Sarkozy de tout déclassifier concernant l’affaire Karachi ?

    Bernard Cazeneuve, député socialiste : Je suis surpris. A l’Assemblée, le ministre de la Défense et le garde des Sceaux sont venus dire qu’ils avaient déclassifié tous les documents à l’attention du juge d’instruction. Si le président de la République dit vrai aujourd’hui, et qu’il reste encore, dans les armoires de l’Etat, des documents à déclassifier, ces ministres sont venus mentir à la représentation nationale ! Cela me choque. Ou alors c’est le président de la République aujourd’hui qui vient dire une contre-vérité… C’est l’un ou l’autre. Mon état d’esprit n’est pas à la polémique. Mais croyez-moi, je trouverais mieux pour la République, et mieux pour la France, que le président de la République ne se trouve pas sur le chemin de cette affaire-là. Cela me choque de constater que l’on a menti devant la représentation nationale.

    Le JDD : A qui pensez-vous ?

    Bernard Cazeneuve : Je pense aux représentants des services de renseignement, qui ont omis de nous dire qu’ils avaient été mandatés par Charles Millon, ministre de la Défense, pour investiguer sur le sujet… Même s’ils n’ont fait que des comptes-rendus oraux, comme l’a déclaré Charles Millon devant le juge Van Ruymbeke, encore auraient-ils dû nous le signaler. On s’est moqué de nous. C’est la raison pour laquelle je compte demander la réouverture de la mission d’enquête parlementaire. Des faits nouveaux sont intervenus depuis la clôture de notre rapport en mai dernier. Nous devons continuer. Nous le devons aux familles des victimes.

    http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Karachi-Bernard-Cazeneuve-veut-poursuivre-les-investigations-235129/

  4. […] toute la pelote. Mais voilà que tout s’emballe, ces derniers jours. Dominique de Villepin confirme en direct live sur la télé de maçons l’existence de “très forts soupçons de […]

  5. Si l’attentat de 2002 est probablement lié à l’arrêt des versements des commissions, comment expliquer que cet attentat ait put impliquer un kamikaze, vous en connaissez beaucoup vous qui serait d’accord de se faire sauter pour punir un état d’arrêter d’engraisser des nantis ?
    Peut-être un condamné à mort ? ou alors un petit groupe de fanatiques religieux manipulés ?

  6. […] on a l’impression que c’est pour rajouter de l’huile sur le feu comme ses propos sur l’affaire Karachi, ses propos au sujet de l’affaire Clearstream, ses propos au sujet des journalistes enlevés […]

  7. […] toute la pelote. Mais voilà que tout s’emballe, ces derniers jours. Dominique de Villepin confirme en direct live sur la télé de maçons l’existence de « très forts soupçons de […]

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