Juil 312020
 

Partout où se rend le ministre de l’Intérieur, un comité d’accueil de citoyens en colère est présent pour le conspuer – il faut dire que le dossier du triste sire s’est singulièrement alourdi du fait de provocations répétées. Alors la police, dont il est le patron, met tout en œuvre pour faire taire la contestation, au mépris des libertés démocratiques fondamentales.

Manifestation féministe contre le nouveau gouvernement à Paris - Photo Rebecca Amsellem
Photo Rebecca Amsellem

« Dimanche 26 juillet, c’est un énorme dispositif policier qui voulait empêcher toute forme de contestation à la présence du ministre de l’Intérieur Darmanin durant la cérémonie d’hommage à Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray, résume un collectif regroupant 10 organisations et associations : rues barrées, checkpoints, contrôles d’identité, carton d’invitation exigé, liste de personnes indésirables… Contrairement aux années précédentes, de nombreux habitants n’ont donc pas pu entrer librement sur le lieu de la cérémonie. Tout était mis en place pour empêcher l’expression de celles et ceux qui pensent qu’un homme accusé de viol ne devrait pas être au gouvernement, et encore moins chef de la police. (…) Cette colère féministe, qui a déjà été exprimée par des milliers de femmes et de manifestants un peu partout dans le pays depuis la nomination de Darmanin, a malgré tout pu se faire entendre : cris et pancartes ont accueilli les premiers mots du discours du ministre. Décidément, partout où Darmanin passe, il est attendu et contesté. Cela a évidemment fortement énervé ses gardes-chiourmes qui ont procédé à l’interpellation de onze personnes, dont quatre ont passé 24 heures en garde à vue au commissariat de Rouen. L’une d’entre elles est désormais poursuivie pour «outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique» et est convoquée devant le juge le 23 novembre prochain. Nous exigeons l’abandon de toutes les poursuites contre V. Les seuls délits commis dimanche 26 juillet sont le fait de l’État et de la police qui entravent désormais systématiquement le droit de manifester et de s’exprimer librement. C’est ainsi que lors d’un des rassemblements devant l’hôtel de police de Rouen pour exiger la libération immédiate des personnes gardées à vue, une quinzaine de soutiens a été contrôlée et verbalisée pour «tapage diurne». L’État et la police ne savent vraiment plus quoi inventer pour protéger ce ministre, dont le comportement sexiste et les propos homophobes sont pourtant désormais largement connus… quitte à piétiner sauvagement les libertés fondamentales. Cela n’est plus acceptable. C’est pourquoi les sept personnes retenues abusivement pendant plusieurs heures à l’hôtel de police ont décidé de porter plainte pour «atteinte à la liberté individuelle par une personne dépositaire de l’autorité publique». En effet, elles estiment avoir été maintenues illégalement dans ces lieux, en étant privées de leur liberté d’aller et venir, et sans avoir été avisées de leurs droits. »

La pétition, la « vie de jeune homme », « je m’étouffe » Darmanin, démission !

Le choix de Tourcoing : je démissionne de la mairie le lendemain
Photo François Lo Presti/AFP

Rappel des faits : Gérald Darmanin, lorsqu’il était un jeune chargé de mission au service des affaires juridiques de l’UMP et un élu municipal à Tourcoing, a au moins en deux occasions sollicité – et obtenu – des faveurs sexuelles en échange d’une intervention de sa part. Pour demander auprès de la ministre de la Justice l’effacement d’une condamnation pour harcèlement envers un ex d’une adhérente de l’UMP et en échange d’un logement – voire d’un emploi – pour une autre femme. Sa défense consiste non à le contester, mais à arguer qu’il ne s’agit pas d’un « viol » au sens juridique du terme. Nous parlons-là de sa défense face à la justice, puisque vis-à-vis du public, et relayé ad nauseam et à l’unisson par toute la Macronie, il prétend n’être coupable de rien ! Au point de promouvoir une pétition en sa faveur : « Gérald Darmanin, jamais mieux servi que par lui-même, a relayé la pétition mise en ligne par Émilie Spriet, relate Marianne. “Vous êtes nombreux à m’adresser des messages de soutien ces derniers jours, je tiens à remercier sincèrement chacun d’entre vous. Aujourd’hui, une Tourquennoise a créé une pétition en ligne sur change.org, vous pouvez : la retrouver, la signer, la partager, la faire signer”, a-t-il écrit sur Facebook ce samedi. La pétition partagée par le ministre s’indigne « des calomnies et des acharnements injustifiés sur les personnes » et dénonce « le procès de rue dont est victime Gérald Darmanin« . “La présomption d’innocence, surtout quand trois décisions de justice consécutives concluent à une absence d’infraction dans la même histoire, est un principe fondamental de notre démocratie et de notre état de droit”. Toujours le même argument tarte-à-la-crème. Faisons un sort tout de suite à ces « trois décisions de justice » : le parquet, placé sous l’autorité hiérarchique du gouvernement, a classé sans suite une plainte pour « abus de faiblesse », un juge d’instruction, suivant la réquisition du même parquet, a prononcé un non-lieu sans même rencontrer la plaignante – et encore moins la confronter au ministre – et une cour d’appel a jugé que le recours exercé par Sophie Spatz, la femme qui demandait à ce que son casier judiciaire soit expurgé et a accepté une nuit de débauche en compagnie de Darmanin comme prix de l’intervention de ce dernier, était trop tardif. La Cour de cassation a jugé le contraire et la procédure est donc rouverte. Donc, ne restent plus que deux « décisions de justice » : le parquet qui classe une plainte sans suite et un juge qui se rend coupable d’un déni de justice en ne convoquant même pas la victime. Sachant que le trafic d’influence et l’abus de faiblesse sont prescrits – les faits datent de 2009 -, seule la qualification de viol pourrait valoir au premier flic de France condamnation. Mais cela n’efface pas sa culpabilité d’avoir abusé de sa position pour imposer des faveurs sexuelles en échange de services. En outre, les trois décisions invoquées par la pétition ne concernent pas « la même affaire », contrairement à ce qu’elle écrit, mais deux affaires distinctes. Et pour la deuxième – un logement contre une fellation, alors qu’il était maire de la ville, en 2015 -, une nouvelle plainte a été déposée par un collectif féministe, non plus pour « abus de faiblesse » mais pour « trafic d’influence ». « En l’espèce, on a trace qu’il a écrit à quatre bailleurs sociaux pour leur demander d’examiner le dossier HLM d’une femme », explique au micro d’Europe 1 Anaïs Leleux, présidente de « Pourvoir féministe ». « Le souci, c’est qu’elle dit qu’avant ça, il est venu chez elle et qu’elle s’est sentie obligée de lui faire une fellation. En dehors de la question du viol et de l’abus de faiblesse, si les faits sont avérés, si Gérald Darmanin a sollicité ou même accepté un rapport sexuel avant d’intervenir en faveur d’une citoyenne, il y a ce que l’on appelle trafic d’influence, corruption », estime-t-elle. »

Tranquille » comme un Gérald Darmanin aux abois - Causette
Ce type n’a pas de figure.

L’article de Marianne précité, à propos de la pétition, révèle : « Émilie Spriet, qui a mis en ligne ce texte de soutien, n’est pas tout à fait une simple citoyenne de Tourcoing, croisée au hasard d’un marché. À lire le message posté sur Facebook par l’élu du Nord, c’est pourtant l’impression donnée. Son CV, posté sur Linkedin, présente en effet la mention « Adjointe de quartiers – Conseillère Municipale », fonction que la cheffe d’entreprise occupait depuis avril 2014. » C’est ainsi une co-listière du ministre aux dernières municipales qui a lancé la pétition. Autant dire que Darmanin l’a vraisemblablement encouragée : minable ! Comme cette déclaration dans La Voix du Nord : « c’est vrai, j’ai eu une vie de jeune homme ». Le fait d’être un jeune homme excuserait donc d’abuser sexuellement des femmes ? Mais cela, ses défenseurs feignent de ne pas le prendre en compte, comme ces 200 élus qui lui accordent leur soutien, toujours avec la bien commode présomption d’innocence : « Gérald Darmanin est un homme (…) dont l’action a toujours été guidée par le sens de l’État, de l’intérêt général et du service à ses concitoyens ». Éventuellement contre une petite pipe, ne précisent-ils pas. Face à eux, un collectif d’élues et responsables politiques (EE-LV, LFI, Génération.s, PS, PCF) proteste vigoureusement.

« Gérald Darmanin est présumé innocent, prennent-elles la précaution d’écrire, avant d’asséner : Mais comment justifier la promotion à l’Intérieur d’un ministre mis en cause dans une enquête préliminaire pour viol, harcèlement et abus de faiblesse et dont les avocats ne contestent pas les faits mais leur qualification pénale ? D’un ministère qui doit être celui de la protection des citoyennes face aux violences sexistes et sexuelles toujours aussi nombreuses ? (…) Au-delà des convictions politiques, nous, femmes responsables politiques, qui nous nous inscrivons dans la tradition républicaine et démocratique, dénonçons cette injure de trop, faite tout à la fois à l’exemplarité politique et, plus grave encore, à toutes ces femmes qui ont tant de mal à être entendues par les institutions policières et judiciaires de notre pays. »

Conversation secrète « de femme à homme »

Et qu’en dit au fond la grande muette de ce débat, la nouvelle ministre de l’Égalité femmes-hommes, Élisabeth Moreno ? Trouve-t-elle normal pour un élu de monnayer ses interventions contre des faveurs sexuelles ? « Tant que vous n’êtes pas condamné par la justice, vous êtes considéré comme innocent, botte-t-elle en touche, dans une interview du 19 juillet dernier. J’ai parlé avec M. Darmanin. J’ai eu une conversation de femme à homme avec lui. Je lui ai dit : « Il faut qu’on se parle là parce qu’on est dans la même équipe. Ton sujet va être un boulet à porter pour moi, il faut que tu m’expliques ce qui s’est passé. » Ce qu’il m’a dit me porte à le croire. Maintenant, je me mets aussi du côté des personnes dont j’ai la responsabilité, les femmes, et si jamais il m’a menti, j’en tirerai toutes les conséquences. » Qu’a donc bien pu lui dire Le-beau-Gérald, comme l’on pourrait surnommer un maquereau à Tourcoing, qui la « porte à le croire » ? Peut-être ce qu’il a déclaré sur Europe 1, repris et commenté par Libération: « Mardi, lors de son interview télévisée, Emmanuel Macron avait confié que Gérald Darmanin a été «blessé» par les attaques de celles et ceux qui contestent sa promotion au motif qu’il fait l’objet d’une enquête pour viol. Un bel exemple de victimisation de l’accusé que reprend à son compte le ministre de l’Intérieur ce matin sur Europe 1. «Je fais l’objet d’une calomnie. Je ne souhaite à personne d’être accusé à tort et je ne souhaite même pas à mon pire ennemi d’être victime de la chasse à l’homme dont je suis l’objet», se lamente-t-il. «Chasse à l’homme», le terme est lâché. Osé pour quelqu’un qui vient d’être nommé ministre de l’Intérieur et élevé au 7e rang du gouvernement. Puis il embraye sur l’air du complot politique. «Pour des raisons politiques – je vois Mme Dati, Mme Pécresse –, on cherche à affaiblir le gouvernement du président de la République, assène-t-il. Je me demande de temps en temps si on se rend compte de ce qu’on fait de l’honneur de quelqu’un.» Il parle d’honneur !

Peut-être aussi a-t-il complété son propos, face à la défenderesse gouvernementale des femmes, par ces paroles tenues au micro de Jean-Jacques Bourdin : « Je vous le dis les yeux dans les yeux. […] Je n’ai jamais abusé d’aucune femme et je n’ai jamais abusé de mon pouvoir. » Traduisons : simplement, mon sex appeal est tel que les femmes qui viennent me demander des services sont aussitôt prises de l’envie irrépressible de rapports sexuels ! Sans que je ne leur demande rien, pensez donc…
Crédible ?

L’indignité absolue

Un mot enfin de la scandaleuse provocation dont s’est rendu coupable Gérald-le-cowboy devant la commission des lois de l’Assemblée nationale ce mardi 28 juillet : « Quand j’entends le mot violences policières”, personnellement je m’étouffe », a-t-il commis, pesant des mots, manifestement ravi de sa trouvaille.

« Alors que ces deux mots – les derniers prononcés par Cédric Chouviat, selon les constatations de l’IGPN – sont devenus le symbole des violences policières ayant conduit à la mort étouffée du livreur de 42 ans lors d’un contrôle routier le 3 janvier dernier, cette sortie du ministre a provoqué la colère de sa famille et de son avocat », rapporte Marianne. Et il est vrai que l’utilisation du verbe étouffer ne saurait être fortuite – le malheureux Chouviat, agonisant le larynx fracturé par des brutes, la répété à sept reprises, et Darmanin le sait pertinemment – et elle est inqualifiable, digne d’une sortie d’extrême droite. « C’est une expression française utilisée communément, comprise par tous, prétend « l’entourage du ministre », cité par LCI. Il n’y avait aucune arrière-pensée. Il ne s’agit en aucun cas d’un parallèle dans une affaire où des mises en examen ont été prononcées. » Foutage de gueule, quand tu nous tiens… « Les mots du nouveau ministre de l’Intérieur (Gérald Darmanin), qui évidemment ne peuvent être fortuits, ont profondément scandalisé et heurté la famille de Cédric Chouviat, rectifie le communiqué des avocats de famille Chouviat, mentionné par L’Obs.com. Chacun doit mesurer ce que disent ces propos du mépris et du cynisme du ministre de l’Intérieur pour les familles endeuillées ou meurtries par des violences policières. » Les flics les plus violents vont continuer de se régaler et ce virage gouvernemental à la droite de la droite laisse présager des heures bien sombres pour la démocratie à la sauce de la Macronie.

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Juil 222020
 

Impunité, enquête accablante sur la mort de Cédric Chouviat, nouvelle affaire de violences, témoignages internes de racisme… Dans ce lourd contexte, le syndicat Unité SGP Police FO n’a pas trouvé mieux que nommer un délégué condamné aux assises pour avoir abattu un fuyard dans le dos et non sanctionné par la police !

Puisqu’il sera question dans ce billet d’impunité – ne parlons même pas d’exemplarité -, convoquons Damien Saboundjian. En 2012, il « avait tué un fugitif d’une balle dans le dos », résume Le Monde. Acquitté en première instance, il est condamné en appel par la cour d’Assises en 2017, reconnu coupable de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». On peut dès lors se demander quelle est donc l’intention quand on tire quatre balles sur un homme : le blesser seulement ? Ce qui n’a pas empêché le policier de plaider la légitime défense… Elle « n’a pas été retenue, et la cour a prononcé une peine de cinq ans de prison avec sursis et une interdiction de porter une arme pendant la même durée à l’encontre de Damien Saboundjian. Il peut en revanche continuer d’exercer le métier de policier. » Ce qu’il fera, Médiapart nous apprenant que le délinquant en bleu « n’a jamais été sanctionné sur le plan disciplinaire ». Depuis mars dernier – mais Médiapart ne l’a révélé qu’il y a cinq jours -, il est désormais délégué Unité SGP Police FO. Quel symbole !

L’impunité quasi-générale en chiffres

Suivi judiciaire des violences policières de Basta !

« Basta ! a recensé 213 affaires d’interventions policières létales, en quatre décennies, dont l’issue judiciaire est connue », explique le média « radicalement indépendant ». Résultat édifiant : « Au total, nous avons compté au moins 84 classements sans suite, 59 non-lieux, 10 relaxes, 12 acquittements, 38 peines de prison avec sursis, 10 peines de prison ferme, assorties ou non de sursis. Deux affaires sur trois n’ont débouché sur aucun procès : cela signifie que la justice n’a pas rendu de décision claire (classement sans suite ou non-lieu). » L’affaire Adama Traoré n’en fait pas partie, la procédure judiciaire étant en cours. Au total, à peine 5% des affaires d’interventions policières ayant entraîné la mort aboutissent à de la prison ferme. Quelques exemples ? « L’affaire des agents de la Bac ayant ouvert le feu sur un véhicule et tué Gaye Camara de huit balles à Épinay-sur-Seine mi-janvier 2018 ? Non-lieu. L’affaire des agents de la Bac – encore –, appelés pour des nuisances de voisinage dans un immeuble à Paris et ouvrant le feu sur Shaoyao Liu, devant ses enfants, dans son appartement ? Non-lieu. L’affaire du gendarme qui a lancé la grenade offensive, tuant Rémi Fraisse lors d’une manifestation en octobre 2014 dans le Tarn ? Non-lieu confirmé en appel. Ces noms, ces drames, viennent s’ajouter à une longue liste de décès décrétés sans responsable ni coupable par les instances pénales. » Vous avez dit « impunité » ?

Cédric Chouviat, assassiné

Mort de Cédric Chouviat : trois des quatre policiers mis en examen pour "homicide involontaire"
© Crédit photo : MaxPPP

Mort de Cédric Chouviat : l’enquête qui taille en pièces la version des policiers, tel est le titre qui barre la Une de Libération aujourd’hui. « Témoignages, vidéos, auditions des gardes à vue… Libération et Mediapart ont pu consulter de nouveaux documents issus de la procédure ouverte sur les circonstances de la mort du livreur après son interpellation en janvier à Paris. Et révèlent comment les agents mis en cause auraient tenté de dissimuler leur responsabilité. » Médiapart ajoute une précision dans son titre : Des mensonges de policiers couverts par leur hiérarchie. Les deux articles n’étant accessibles que sur abonnement, voyons ce qu’il en est relaté ailleurs. Pour le résumé rapide des faits, franceinfo résume : « Ce livreur de 42 ans avait été interpellé en juillet dernier lors d’un contrôle routier, quai Branly à Paris. Il avait été maintenu au sol par les policiers. Selon une expertise judiciaire, Cédric Chouviat a crié à sept reprises « J’étouffe ». L’autopsie avait conclu à une mort par asphyxie avec fracture du larynx. Depuis la famille de Cédric Chouviat ne cesse de dénoncer une bavure policière. » Regardez et écoutez comment le journaliste Claude Askolovitch relate les faits sur Arte.

« Ils n’ont pas entendu Cédric Chouviat crier «j’étouffe» à sept reprises. C’est ce qu’ont affirmé les policiers, rapporte Le Parisien. Des mensonges que mettent en lumière mardi Mediapart et Libération grâce à des documents qu’ils ont consultés. (…) Cédric Chouviat continuait d’enregistrer la conversation lorsqu’il a été attrapé par le cou, plaqué au sol sur le ventre, encore casqué, avant d’être menotté. Non seulement on l’entend se plaindre d’étouffer, mais on entend aussi distinctement l’un des fonctionnaires dire à son collègue, le chef de bord Michaël P. : «C’est bon, c’est bon, lâche», «sur un ton paraissant empreint d’inquiétude». Mais face aux enquêteurs de la police des polices, ce gardien de la paix ne «sait plus» pourquoi il a prononcé ces mots, rapporte Médiapart. La «clé d’étranglement» ? Un simple «maintien de tête», affirme Michaël P. «Il n’y a pas eu de geste volontaire», dit-il encore. D’autres vidéos tournées par l’une des policières impliquées ont pourtant été versées au dossier. » Posent problème aussi les agissements des policiers lorsque l’interpellé perd connaissance : « La police des polices s’interroge aussi sur le temps de réaction de l’équipage lorsqu’il constate son malaise. Ils mettent «1 minute 58 secondes environ» pour lui enlever la première menotte et «2 minutes et 56 secondes» pour commencer «un massage cardiaque».

 Cédric Chouviat avait été interpellé le 3 janvier près de la tour Eiffel. Il est décédé deux jours plus tard sans avoir repris connaissance.

Lorsque l’on continue à étrangler un homme qui s’étouffe, jusqu’à lui briser le larynx, il s’agit d’un assassinat. Que les policiers ont essayé de dissimuler : « les faits ont été relatés sur les ondes radios de la police par un policier de la BAC (brigade anticriminalité) du VIIe arrondissement, le conjoint de la policière présente au moment des faits. «Il s’agit en fait d’un individu qui a été contrôlé par PS07, ce dernier a été invité à les suivre suite au contrôle. Ce dernier s’est rebellé ; pendant la rébellion, il a fait un arrêt cardiaque», a-t-il déclaré à l’état-major de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne. Il tient à préciser et cela peut mettre la puce à l’oreille : «Il n’y a pas eu d’étranglement ni de coups portés». Cette version, qui concorde avec celle d’un des commandants de police du VIIe arrondissement, a été reprise dans des communiqués de presse par le préfet de police de Paris, Didier Lallement. Une version contredite par l’autopsie [qui] a vite révélé une asphyxie avec fracture du larynx, que «seule une pression prolongée et très forte avec deux points d’appui, par-devant sur la pomme d’Adam et par-derrière dans le haut du dos peut provoquer», selon un expert médical. »

Un joyeux anniversaire

Heureusement moins dramatique, une autre affaire ressemble bien à une énième bavure, survenue il y a dix jours : « Ils étaient venus célébrer les 23 ans d’une amie. Sept d’entre eux ont terminé la soirée en garde à vue. Une fête d’anniversaire organisée dans un appartement du 19e arrondissement de Paris a dégénéré, dans la nuit du vendredi 10 au samedi 11 juillet », rapporte franceinfo. Cette fois encore, les versions de la police et des participants n’ont rien à voir. Côté bleu, « Une source policière explique à l’AFP que les policiers ont d’abord verbalisé l’occupante de l’appartement. » Pour tapage nocturne, motif de leur présence. « En repartant, ils ont aussi interpellé pour « outrage » une femme qui venait de les injurier, dans le hall de l’immeuble.  » À ce moment-là, ceux qui étaient dans l’appartement sont descendus et s’en sont pris aux policiers, y compris physiquement », raconte cette source. « L’un d’eux a menacé de prendre l’arme du policier et de lui tirer une balle dans la tête, le véhicule des policiers a été dégradé », poursuit cette même source. Des renforts sont alors appelés et sept personnes sont interpellées, tandis que deux policiers, légèrement blessés, sont emmenés à l’hôpital. » Et que disent les invités de cette fête d’anniversaire, qui a réuni une quarantaine de personnes maximum ? « Ils estiment avoir été eux-mêmes victimes de violences de la part des policiers présents sur place. « La fille dont c’était l’anniversaire s’est fait violenter en bas, raconte un des fêtards. Quand elle est remontée avec du sang partout, ça a mis un froid. » Un autre se souvient de policiers beaucoup plus nombreux, « entre 30 et 50 », « très énervés », « très méchants ». Lisa*, que franceinfo a contactée, souffre toujours, trois jours après, d’une « énorme ecchymose au niveau de la clavicule », conséquence « des nombreux coups de matraques que les policiers m’ont infligés dans le hall de l’immeuble. » (…) Christophe, lui, ne comprend « toujours pas » pourquoi un policier lui a passé les menottes. « Enfin si, j’ai vite compris ce qui m’arrivait, assure-t-il. Une fois dans le camion, ils ont commencé à me crier dessus, à me traiter de fils de pute… Ils me disaient que j’avais frappé leurs collègues. J’avais beau leur dire qu’il y avait erreur, ils ne voulaient rien entendre. » Après les insultes, les coups, selon son témoignage : arrivé au commissariat, il raconte que « trois policiers se sont jetés » sur lui, « l’un d’eux m’a fait une balayette, m’a relevé par le cou avant de me mettre une droite. J’étais au sol, sonné, plein de vertiges et je saignais ». Il explique que les agents lui ont alors « demandé de nettoyer » son propre sang. » Que s’est-il réellement passé ? L’enquête le dira (ou pas). En attendant, on a pu compter sur le camarade préfet Lallement pour y aller de son habituel message sur Twitter.

Racisme systémique ?

Un autre papier de franceinfo abordait le 13 juin dernier le thème du racisme au sein des forces de l’ordre, témoignages de flics à l’appui. Stéphane, policier municipal depuis vingt ans : « Les propos racistes, c’est tout le temps. Tous les jours. (…) Pendant le confinement, on effectuait des contrôles d’attestation de déplacement dans les véhicules. Souvent, et naturellement, mes collègues excusaient les personnes blanches, les jeunes femmes, qui n’avaient pas leur attestation. Mais les personnes « de couleur » étaient verbalisées. » Robert, 48 ans : « Je me souviens d’un collègue pendant des contrôles de véhicules. Il était proche de la retraite, moi tout jeune. Il voit passer deux Maghrébins. Il me dit, devant tout le monde : « arrête-moi les deux fellagas, les deux fellouzes ». Samir, policier en région parisienne depuis dix ans : « J’ai vu des usages illégitimes de la force dans certaines cellules de gardés à vue. Quand je reprenais mon service en fin de nuit, des personnes africaines ou arabes avaient de multiples fractures, des ecchymoses, alors qu’elles étaient en bonne santé la veille au soir. En patrouille, d’anciens collègues, qui sont toujours dans le même commissariat que moi, se sont réjouis de la tuerie de Christchurch en Nouvelle-Zélande, trouvant légitime la motivation du terroriste. Lors de contrôles, ils traitent certaines personnes de « sales races », de « bâtards », de « rats ». Ils le font quand ils sont en surnombre ou que la personne est isolée et ne peut se défendre. » Bernard, policier depuis quinze ans en région parisienne : « Un de mes collègues a été évincé au bout de six mois parce qu’il ne tolérait pas les pratiques de la Bac. Contrôles d’identité musclés, propos racistes, coups portés sur les Noirs et les Arabes… Il a voulu en parler à sa hiérarchie, il a été écarté d’office. Et cet écart s’accompagne souvent de harcèlement. » Ah, les célèbres cowboys de la Bac, de sinistre réputation… L’article n’oublie pas de rappeler le « Un bicot comme ça, ça nage pas »prononcé par un policier fin avril, et évoque aussi le rapport du désormais ex Défenseur des droits Jacques Toubon, dénonçant un « harcèlement discriminatoire », et l’usage des « réseaux sociaux et les messageries instantanées, comme l’illustrent deux affaires récentes. La première révèle l’existence, dans des groupes Facebook privés, de dizaines de messages racistes attribués à des membres des forces de l’ordre. La seconde a démarré en décembre 2019, avec la plainte d’un policier noir déposée contre six de ses collègues, après la découverte de propos racistes, notamment à son égard, dans un groupe WhatsApp. »

Linda Kebbab, reine du déni et de l’amalgame

© Fred Kihn pour Libération, janvier 2019

Concluons ce billet comme nous l’avons commencé, par l’évocation d’une autre figure du syndicalisme policier. « Dénoncer les bavures (policières), ça renvoie à un amalgame ! », protestait vigoureusement Linda Kebbab sur un plateau de France.TV en janvier 2020 (vidéo non disponible). La déléguée syndicale nationale Unité SGP Police FO (encore !), qui possède son rond de serviette à la cantine de BFM TV – où l’on sert une excellente soupe macroniste -, a fait l’objet d’un portrait dans Libération, sous le titre inspiré des Mots bleus : « Selon elle, ce n’est pas la police qu’il faut changer, mais l’image que s’en font les gens. «Les citoyens devraient remettre en question leurs a priori qui ne sont basés sur rien.» Sur rien, vraiment ? Et les 83 blessés graves parmi les Gilets jaunes recensés par CheckNews ? Mais attention, pas d’amalgame ! Or que lisons-nous sur le compte Twitter de la dame ?

Laval vient de la gauche – en réalité, il a rompu définitivement avec elle dès 1926 – et il a ordonné la rafle du Vel’ d’hiv’, donc c’est « l’autorité zélée de l’extrême gauche » qui est coupable de ladite rafle. Singulière – et un tantinet inculte – relecture de l’histoire ! Quant à Mélenchon, il serait « l’héritier idéologique » de ces responsables… En matière d’amalgame, on tient-là une championne du monde ! Mélenchon se voit ainsi littéralement agressé par Linda Kebbab parce qu’il a le toupet d’effectuer le rappel historique de la réalité de la collaboration massive de la police française avec les nazis et que la bouillante syndicaliste policière s’avère adepte du déni. Comme sur le sujet des violences policières actuelles (avec les macronistes au pouvoir, à commencer par Macron lui-même). Parce que « Dénoncer les bavures (policières), ça renvoie à un amalgame ! » Idem du racisme au sein de la police. Commode : les forces de l’ordre sont ainsi blanchies de tout, à la sauce Kebbab.

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