Déc 312010
 

En août 2009, l’un de nos articles – Mutation illégale d’un procureur « rebelle » par l’Élysée – avait suscité l’ire du conseiller Justice de Nicolas Sarkozy de l’époque, Patrick Ouart, qui avait personnellement pris la plume pour contester nos propos. « Marc Robert, le procureur général de la Cour d’appel de Riom (Puy-de-Dôme), a fait l’objet d’une mutation forcée qui devait être examinée lors de la dernière réunion du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) présidée par Rachida Dati avant son départ du ministère, écrivions-nous alors. Mais celle-ci décide finalement de retirer ce point de l’ordre du jour. C’est alors qu’intervient notre homme (Patrick  Ouart, NdA), pour contester à la ministre ce droit ! Alors qu’il n’a même pas à être présent à cette réunion, nulle part n’étant prévu de rôle quelconque à tenir dans cette assemblée pour un conseiller, fût-il du président de la République. Et finalement, on s’aperçoit qu’est signé le décret ordonnant la mutation, qui précise « après avis du CSM » alors même qu’en toute rigueur, Dati ayant retiré ce point de l’ordre du jour, l’avis du CSM n’a pu légalement être émis. C’est bien ce passage en force, outrepassant les règles du droit, que nous dénoncions. »

Mais Patrick Ouart n’était pas du tout content de notre façon de présenter les faits : « Je ne vous discute pas le droit de penser tout le mal que vous voulez à mon endroit, écrivait-il, trop grand seigneurmais dès lors que vous vous présentez en qualité de journaliste, il convient d’étayer vos affirmations sur des enquêtes sérieuses. La reprise des informations sur l’affaire Robert est illustratrice de la façon de travailler d’une certaine presse. Elle ne s’appuie que sur les déclarations des syndicats et de l’intéressé, les autres protagonistes du dossier ne pouvant répondre car ils respectent, quant à eux, le secret professionnel auquel la loi les astreint relativement aux travaux du CSM. Je vous indique toutefois que le conseil d’Etat a rejeté la demande urgente fondée notamment sur la prétendue illégalité de la nomination dans des termes qu’aucun de vos confrères n’a cru utile de reprendre », poursuivait notre conseiller en colère. Nous lui répondions avec le Journal du dimanche : « Marc Robert n’a pas obtenu gain de cause devant le Conseil d’Etat. La plus haute instance juridique a rejeté mardi le recours en référé (urgence) déposé par l’ex-procureur général de Riom (Puy-de-Dôme) contre sa mutation forcée à la Cour de cassation. Si le Conseil d’Etat juge que la situation ne fait pas apparaître de situation d’urgence, le dossier sera examiné sur le fond ultérieurement« . Nous concluions dès lors : « On ne voit rien là qui invalide notre position : l’urgence a été écartée, mais le fond de l’affaire n’a pas été examiné – et le sera. »

Tout vient à point à qui sait attendre. Lisons donc l’édition d’hier du Monde : « Rachida Dati, ancienne garde des sceaux, vient d’être rattrapée par une grosse sottise, commise en 2009. Le Conseil d’Etat a annulé, jeudi 30 décembre, le décret de nomination d’un haut magistrat du parquet, Marc Robert, avocat général à la Cour de cassation, car la ministre, au mépris de la Constitution, avait omis de demander l’avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour le muter d’office. (…) la ministre de la Justice, qui suppléait le président de la République, président de droit du CSM, avait fait retirer le projet de nomination du magistrat de l’ordre du jour. Plusieurs membres du CSM avaient protesté. Elle était passée outre, et avait fait signer un décret, le 23 juin 2009, à Nicolas Sarkozy, avec une mention radicalement fausse : « Vu l’avis du Conseil supérieur de la magistrature », alors qu’il n’avait pas été officiellement consulté. Le Conseil d’Etat, suivant son rapporteur public, le 17 décembre, a ainsi annulé le décret de nomination de Marc Robert à la Cour de cassation, et donc le décret du 3 juillet 2009 qui nommait son successeur, Philippe Lemaire, à la tête du parquet général de Riom. » Le Monde escamote dans son compte-rendu l’intervention d’Ouart et fait porter le chapeau à Dati. Or, à notre sens, même si nous avons coutume de l’éreinter régulièrement dans nos colonnes, la faute ne nous semble pas cette fois entièrement lui incomber. Le décret illégal est certes contre-signé de sa main, mais le principal signataire est le président de la République, qui a manoeuvré, via son conseiller Justice Ouart, pour faire muter d’office le procureur rebelle malgré le défaut de l’avis obligatoire du CSM.

Toujours est-il que l’essentiel est là : ce décret, comportant « une mention radicalement fausse », violait bel et bien le droit, et la décision du conseil d’Etat d’hier confirme avec éclat ce que nous écrivions en août 2009, qui faisait tant bisquer Ouart. « Sans doute ai-je tort de me départir cette fois de mes habitudes d’absence de réaction ; mais j’avoue une certaine exaspération à voir qu’internet spécialement autorise des personnes qui ne connaissent rien à la réalité des dossiers et a fortiori sur celle des acteurs prétendus desdits dossiers s’autoriser des jugements péremptoires y compris sur les individus », concluait son courrier de protestation. Ce à quoi nous répondions : « Avouons à notre tour « une certaine exaspération » à voir les conseillers de sa Majesté faire la pluie et le beau temps en dehors de tout cadre institutionnel. La Constitution reconnaît un ministre de la Justice, pas un ministre bis qui serait autorisé à faire sa loi en pleine réunion du CSM ! Pour le reste, votre anathème sur les « personnes qui ne connaissent rien à la réalité des dossiers » apparaît peu élégant mais surtout gratuit : quelle erreur factuelle avons-nous commise ? Il est bien commode de balayer ainsi d’un revers de manche toute critique, sans étayer le moins du monde son propos. Mais nous vous comprenons, cher Monsieur Ouart, votre allusion à Internet est transparente : que le Réseau autorise chacun à s’exprimer, à relayer des informations et à écrire certaines vérités dérangeantes doit être pour vous sans nul doute exaspérant. Mais il faudra faire avec. » Le conseil d’Etat vient d’arbitrer notre désaccord avec l’ex conseiller Justice de Sarkozy, parachevant un triomphe que nous n’avons pas modeste : jeu, set et match pour plumedepresse !

PS : l’illustration ci-contre est empruntée au blog de Jacques de Brethmas.

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  38 commentaires à “Quand le Conseil d’Etat donne raison à plumedepresse”

  1. […] This post was mentioned on Twitter by Olivier Bonnet. Olivier Bonnet said: Quand le Conseil d'Etat donne raison à plumedepresse http://alturl.com/4r8a9 Affaire de la mutation forcée illégale du procureur "rebelle" […]

  2. Patrick Ouart exaspérant…..Ben loupé ca va faire le tour du Net !

  3. « Le conseil d’Etat vient d’arbitrer notre désaccord avec l’ex conseiller Justice de Sarkozy, parachevant un triomphe que nous n’avons pas modeste »

    L’arrogance d’un type qui n’est juste qu’un larbin de l’Elysée, commis pour de basses oeuvres, tel ce soutien à un faux par une Dati qui voulait une fois de plus poser ses fesses sur la loi, les gens et la République pour imposer ses caprices, mérite pour le moins ces trompettes.

    La définition de l’ultra-droite sarkozyste et de ses mercenaires, donnée par Marie Ndiaye, tient comme au premier jour :  » Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. »

  4. Eh, oui, il y a des embellies de temps en temps. Les mensonges de l’oligarchie et de ses valets ne peuvent pas toujours passer pour vérités.
    Bravo Olivier!

  5. Bravo, mille fois bravo!!! Merci, Olivier…

  6. Bravo Olivier, enfin une bonne nouvelle, pan sur le bec de la machine à mensonges et à exclure. Le bilan de l’année 2010 est désastreux en France, on a vu un gouvernement adopter comme programme à la fois celui du MEDEF et celui du FN. Privatisation des services publics, démantèlement de la Poste et de l’hôpital public, chasse aux étrangers, délits de faciès généralisés, chasse aux Roms et aux Tziganes, du jamais vu depuis Pétain. Et établissement de la vidéo surveillance devenue vidéo protection afin de fliquer les français de plus en plus récalcitrants à la politique du mini monarque. Mise à mal des libertés publiques, loi llopsi2 qui étend encore les pouvoirs de police, stigmatisation des pauvres et des mal logés. Les seuls qui sont contents ce sont les amis du nain suprême, les grands PDG du CAC 40…

  7. Je préviens, ma remarque va tomber à côté de la plaque, genre cheveu sur la soupe.
    Olivier pourrais-tu nous informer sur Pétrole/Côte d’Ivoire.Pétrole/Afrique/Côte d’Ivoire/ États-Unis. Pétrole/Gbagbo. Ouattara/ États-Unis/Pétrole. Sans oublier France/Pétrole/Sociétés françaises…
    Mon petit doigt me dit qu’il y a à creuser là-dedans et matière à forger une grille pour comprendre l’actuelle situation en Côte d’Ivoire.
    En outre, la question des terres rares( voir décision récentes de la Chine de diminuer le débit) pourrait-elle avoir également été invitée dans le conflit ?

    • Je ne suis a priori pas du tout informé sur le sujet, mais je vais tâcher…

      • On ( le russe Lukoil et l’américain Vanco Energy) aurait découvert un gisement offshore « plein de promesses » dans le golfe de Guinée que convoitent la Côte d’Ivoire et le Ghana.
        Je suis tenté, dans un contexte de déplétion du pétrole et des ressources minières, de rapprocher cette information des guerres en Irak et en Afghanistan dont il est difficile de nier qu’elles sont des guerres de ressources. J’essaie de ne pas perdre de vue non plus l’information récente sur l’attitude de la Chine qui possèdent et contrôlent 95% des terres rares. L’intérêt soudain des grandes et moyennes puissances pour un type de conflit africain – tribal nous dit-on presque – qu’on avait pris l’habitude de traiter par l’indifférence et le mépris éveille en moi quelque suspicion.
        Désolé une fois encore d’avoir investi ton sujet. Bonne année.

      • Cher Olivier,
        Si cela peut t’aider dans ta future enquête et surtout t’aider financièrement pour la mise à jour de ton blog,
        depuis 1997 que je suis quotidiennement sur Internet, j’ai reçu des dizaines et des centaines d’appels au secours en provenance de Côte d’Ivoire de la part de jeunes orphelins et de veuves désirant pouvoir transférer de très grosses sommes d’argent en Occident moyennant un pourcentage de 15% environ.
        N’étant pas intéressé par l’argent et sans aucune intention de venir en aide à de riche exploiteurs ou ex-exploiteurs je n’ai jamais donné suite. Mais il s’agissait de messages ultra-confidentiels et je devais n’en parler à personne. Mais si tu veux, je peux t’en faire profiter !
        Les sous ne doivent pas sentir très bons, mais si c’est pour une bonne cause ?
        Pascal

  8. Bravo pour cette bonne nouvelle, il est plaisant d’imaginer que la justice a toujours un rôle à jouer en Sarkozie.
    Tous mes voeux de continuation pour 2011 Olivier pour poursuivre ton oeuvre d’une presse indépendante des pouvoirs financiers dans ce monde où les journalistes suiveurs ou prisonniers sont légions.

  9. Bonne nouvelle pour finir l’année que je souhaite pleine de plumaunautes.

  10. Bravo à Olivier Bonnet, et meilleurs voeux à Plume de Presse.
    Sa qualité d’être juste jusque dans la finesse, fait de Plume de Presse le meilleur blog d’information du Net, à mon avis…

  11. Un vrai bonheur cette nouvelle pour vous Olivier et Plume de presse. Bravo ! Tous mes meilleurs voeux pour vous, vos proches et Plume de presse, malgré une année qui s’annonce pire que toutes les précédentes pour nous tous.

  12. Je remarque que, s’ il y a eu réponse acerbe à votre clairvoyant article, il est à présent nécessaire de clamer que vous aviez raison. Et vous avez aussi raison de le faire. C’ est la raison du plus juste qui est toujours la meilleure, valeur oubliée par les hommes au pouvoir. C’ est une grande satisfaction qui me réjouit et qui se passe de modestie dans ce contexte.

  13. Bravo! « Plume de Presse »,
    Merci Monsieur BONNET!
    Continuons de résister et dénonçons nos ennemis: ELITE, MEDEF, BANQUIERS et CAC40.

    Mais: ça ira, ça ira, ça ira! … On les aura!

    Bonne année à « Plume de Presse » et à tous les « Plumonautes »

  14. Une façon de finir l’année en beauté ! Et pan, sur les doigts… bravo Olivier !
    Bonne année 2011, à tous, et surtout, DEUX bonnes années, avec 2012 en apothéose… !

  15. Bravo Olivier.

    Et une très bonne année 2011 pour toi et ta famille.

    Paz y Salud !

    Zgur

  16. Moi qui ai l’impression d’être toujours en colère en ce moment , voilà un article qui me met du baume au cœur.
    Merci pour vos articles .
    Bonne , très bonne année à vous et à tous les plumonautes !!!

  17. Et pan sur le bec des détracteurs d’Internet !
    Et bravo à toi, Olivier, qui ne laisse pas passer ce genre de « petits détails » qui en disent long sur des pratiques !
    Encore bonne année !

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