La dérive autoritaire du pouvoir macroniste, dont nous protègent encore à l’occasion les institutions républicaines – hélas pas de la façon brutalement répressive dont s’exerce le « maintien de l’ordre public », s’avère chaque jour plus flagrante, comme viennent de l’illustrer deux exemples édifiants. Ainsi, sans le Conseil d’État, le gouvernement continuerait tranquillement de violer plusieurs libertés fondamentales : la liberté de manifester et le droit d’expression collective des idées et des opinions, la liberté de réunion et la liberté syndicale, excusez du peu, avec l’interdiction de manifester qu’il entendait maintenir jusqu’en… novembre !

Et sans le Conseil constitutionnel, c’est à la liberté d’expression qu’aurait attenté la Macronie. En effet, la loi « visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet », dite loi Avia, du nom de sa rapporteure Laetitia Avia (députée de Paris La République en marche), votée le 13 mai et qui devait entrer en application en juillet, a été pulvérisée par l’instance placée au sommet de la hiérarchie de la justice française. Le Monde résume : « Le juge constitutionnel a censuré sa disposition-phare, l’obligation faite aux réseaux sociaux [sans l’intervention d’un juge, NdA] de supprimer, dans les vingt-quatre heures, sous peine de lourdes amendes, les contenus «haineux» qui leur sont signalés sur Facebook, Twitter, Snapchat, YouTube… Pour le Conseil constitutionnel, ce mécanisme risquait de porter «une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée». Or, c’était «le cœur du texte», comme l’affirmait Mme Avia, en mai 2019. » Ce qui conduit le quotidien débuter son article par les mots « C’est une gifle. »

Pour mieux comprendre ce à quoi nous avons de justesse échappé grâce à l’avis du Conseil constitutionnel, donnons la parole à l’association de défense des libertés en ligne La Quadrature du Net : « Victoire ! Après une longue année de lutte, le Conseil constitutionnel vient de déclarer contraire à la Constitution la quasi-intégralité de la loi de lutte contre la haine en ligne. Au-delà de sa décision, le Conseil constitutionnel refuse le principe d’une censure sans juge dans un délai imposé d’une heure ou de vingt-quatre heures. En prétendant lutter contre la haine, la loi organisait en réalité une censure abusive d’Internet : la police pouvait exiger la censure de contenus à caractère terroriste en une heure ; les grandes plateformes devaient censurer tout contenu qui pourrait être haineux en vingt-quatre heures. Le Conseil constitutionnel a rendu une décision claire : ce principe de censure dans un délai fixe, que le Conseil critique violemment, est contraire à la Constitution. Comme nous le relevions dans nos observations envoyées au Conseil constitutionnel, un tel délai fixe, pour tout type de contenu, aggrave considérablement les risques de censures abusives, voire de censure politique. »
Imaginez : il eût suffi que la police allègue d’un « contenu à caractère terroriste« , quitte à faire un usage immodéré du terme pour criminaliser la contestation politique et sociale, pour que les Facebook, Twitter, Youtube et leurs amis soient obligés de retirer le contenu incriminé en une heure, sous peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende ! Le caractère liberticide de cette loi sautait aux yeux : « Ce texte a été vertement critiqué, tant par les députés, de droite comme de gauche, que par des instances comme le Conseil national du numérique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme ou des associations comme La Quadrature du Net, récapitule Le Monde. Tous accusent ce texte de faire reculer la liberté d’expression en confiant à des acteurs privés d’importants pouvoirs en la matière. Les opposants au texte craignent notamment que, par peur des amendes et en l’absence de sanctions significatives pour «surcensure», les réseaux sociaux soient incités à supprimer des contenus pourtant légaux. »
Mais La République en marche ne s’y est pas arrêtée. Prête à fouler aux pieds les libertés fondamentales. « Essayez la dictature et vous verrez ! », avait lancé Emmanuel Macron, pour fustiger les voix dénonçant sa dérive autoritaire. Il vient coup sur coup de leur donner deux fois raison. « Essayez la dictature »… Avec l’interdiction de manifester puis la tentative de censure de la liberté d’expression sur Internet, il semble que l’apprenti autocrate se soit lui-même pris au mot.