Norvège, Nouvelle-Zélande, États-Unis… Bientôt Paris ? Exaltés par le discours de l’extrême droite désignant les ennemis à éliminer pour « sauver la patrie » – étrangers de préférence racisés, musulmans ou « gauchistes » accusés d’être « collabos » -, ces terroristes suprémacistes sautent le pas entre théorie et pratique. Des crimes à la fois encouragés et suscités par les paroles d’intellectuels ou de politiciens pyromanes, qui gangrènent la société. Avec la complicité de certains médias, de la police et parfois des pouvoirs en place, comme avec Trump ou les macrono-sarkozystes, engagés dans une course à l’échalote avec le Rassemblement national. Le torchon Valeurs actuelles déversant sa haine raciste sur la députée Danièle Obono exprime la même violence, fût-elle encore symbolique. Jusqu’à quand ?

Très bon papier de France Culture : « Mardi soir, nous explique The Guardian, Kyle Rittenhouse était venu à Kenosha avec son fusil d’assaut, répondant à un appel lancé sur Facebook, demandant s’il y avait « des patriotes prêts à prendre les armes pour défendre la ville contre les voyous diaboliques qui y sèment le chaos ». Il s’agissait donc, selon ces groupes d’extrême droite, de former des milices citoyennes pour protéger les commerces et les habitations des honnêtes Américains menacés. Or l’écho est assez saisissant entre ce discours et ceux que l’on entend depuis trois soirs à la Convention d’investiture du Parti républicain. C’est bien en cela que Philip Bump du Washington Post évoque cet « écho que l’on ne peut plus faire mine d’ignorer » entre la mort des manifestants de Kenosha et la rhétorique de campagne de Donald Trump. (…) comment ne pas remarquer que la veille même de ce passage à l’acte, à la convention républicaine, « pas moins de 5 orateurs dont l’un des fils du président avaient dans leur discours brandi la menace de soi-disant hordes violentes et incontrôlées qui selon eux étaient en train de gagner les rues des cités américaines ».

« Nous ne tolérerons pas les pillages, les incendies criminels, la violence et l’anarchie dans les rues américaines », affirmait, martial, le (grotesque et terrifiant) président des États-Unis, Donald Trump himself (cité par Le Monde), à propos de ce qui se passait à Kenosha. C’était avant les deux crimes perpétrés par Rittenhouse, très jeune (17 ans) supémaciste, soutien affiché de Donald Trump et fervent militant du mouvement #BlueLivesMatter, qui détourne le slogan Les vies noires comptent, protestant contre les assassinats racistes de la police américaine, en Les vies bleues (couleur de l’uniforme de la police) comptent. En France, voici ce que ça donne.
Mais revenons à Kenosha. On a donc le président et ses soutiens préparant les esprits avec un discours qui légitime l’auto-défense et leurs adeptes qui passent à l’acte. Ce qui est très loin d’être la première fois : « ABC News compile 54 cas où des personnes reconnues coupables de meurtres, crimes de haine, violences ou menaces racistes ont expliqué leur geste en invoquant la personnalité et la politique de Donald Trump… dont ils étaient tous de fervents supporters », rappelle France Culture. Dans l’affaire Rittenhouse, notons aussi la bénédiction de la police : « Dans une vidéo tournée après ces événements, on voit Kyle Rittenhouse s’avancer vers quatre voitures de police, les bras levés, relate FranceTVInfo. Des témoins crient aux agents qu’il vient de tirer sur quelqu’un, mais les véhicules passent devant le jeune homme sans s’arrêter. » Une autre vidéo montre les policiers féliciter les miliciens – « Nous apprécions que vous soyez là » – et leur distribuer des bouteilles d’eau. Quant aux médias, sur Fox news, l’éditorialiste vedette, Tucker Carlson, proche de Trump, s’est distingué en formulant« la défense d’un meurtrier et un appel assez clair à d’autres actes de haine et de violence », juge The Guardian : « Faut-il vraiment s’étonner du fait que les pillages et les incendies criminels débouchent in fine sur des meurtres ? Est-il vraiment choquant que des jeunes de 17 ans armés de fusils décident de ramener l’ordre, quand personne d’autre ne le fait ? », a-t-il déclaré. « Ramener l’ordre », c’est donc tuer, suivant la conception humaniste de Carlson ; c’est abattre qui passait par là et a voulu désarmer le jeune extrémiste. Et est-ce vraiment choquant ? Il pose la question. Vous nous direz : d’accord, mais c’est l’Amérique. Pas que.
Le terroriste d’extrême droite Brenton Tarrant, avant de s’en aller gaiement occire 51 personnes coupables de s’être rendues dans des mosquées de Christchurch (Nouvelle-Zélande), s’est dit inspiré par la théorie complotiste du « Grand Remplacement » formulée par l’essayiste français Renaud Camus (remplacement des autochtones par des étrangers majoritairement noirs, arabes et musulmans). Parenthèse amusante : Philippe de Villiers, le grand ami d’Emmanuel Macron, y souscrit ! Le supémaciste néo-zélandais s’est aussi revendiqué d’Anders Behring Breivik, assassin de sang-froid de 77 jeunes socio-démocrates norvégiens. Qui, lui aussi, a avoué que le même Camus, condamné par la justice française en 2014 pour provocation à la haine et à la violence contre les musulmans, a motivé son passage à l’acte. Voilà ainsi comment les mots tuent. Aussi est-il révoltant d’entendre les macronistes reprendre le langage et les thèmes de l’extrême droite, Darmanin en tête, les banalisant et les popularisant, en en faisant la promotion. Marlène Schiappa, et ce n’est pas la première fois, en a rajouté une louche récemment: « Il existe maintenant une gauche identitaire qui porte une culture de l’excuse », déclare-t-elle le 26 août dernier. Un calendrier taquin veut que le même jour, Marion Maréchal-Le Pen, sur l’antenne de la chaîne locale Azur TV, « dénonce l’ensauvagement, conséquence de l’immigration, de la culture de l’excuse et de l’effondrement de la chaîne pénale ». Peu avant, l’ancien éminent magistrat Philippe Bilger accusait tout bonnement et tel quel Noirs et Arabes d’être responsable de ce fameux ensauvagement de la France.

C’est dans ce climat délétère que l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles inflige à la députée France insoumise Danièle Obono l’humiliation de la représenter en esclave dans une fiction la projetant en Tchadienne du XVIIIe siècle. Obono, cible idéale des racistes de tous poils : pensez donc, une féministe antiraciste et noire députée ! Comme en son temps Christiane Taubira, l’élue de la 17e circonscription de Paris fait office de chiffon rouge, d’exutoire, et sur elle se déversent quolibets, injures et anathèmes. Elle est ainsi qualifiée de communautariste, d’indigéniste, de racialiste et, naturellement, d’islamo-gauchiste. Ne manque que la qualification de judéo-bolchévique, qui fait il est vrai de nos jours mauvais genre. Le hic, c’est que les crachats ne viennent pas que de la droite radicale, dans laquelle nous englobons naturellement Les républicains, dont les positions sont identiques à celles du Rassemblement national sur la plupart des sujets depuis Sarkozy. La République en marche, on l’a vu dans le paragraphe précédent, lui emboîte désormais résolument le pas (de l’oie), à présent qu’elle ne peut plus faire croire à personne qu’elle n’est « ni de droite, ni de gauche », imposture originelle de Macron. Vous avez peut-être noté que Schiappa parle plus haut, en même temps qu’elle enfourche la monture idéologique de l’extrême droite, de « gauche identitaire ». C’est Obono qui est visée. Une Obono également vilipendée par les cercles valssistes, hollandistes, Charlie-Hebdoïstes, Mariannistes (pas lepénistes, polonistes !) et Caroline Fourestistes. Elle ne défendrait pas assez la laïcité. Mais de quelle laïcité parle-t-on ? De sa version dévoyée pour porter l’islamophobie ? Elle-même se défend de toute complaisance envers ceux qui contestent la laïcité telle que la définit la République et met les points sur les i : « Mon seul programme est celui de la France insoumise, L’Avenir en commun ». Qui soutient absolument toute la laïcité. Mais rien que la laïcité.
Que le tollé soit unanime pour dénoncer la saloperie l’article de Valeurs actuelles a certes quelque chose de rassurant. Mais il est des soutiens de façade qui ressemblent à des poignards plantés dans le dos. Les messages « républicains » de ceux qui continuent de la qualifier de communautariste–indigéniste–racialiste–islamo-gauchiste lui dessinent dans le dos la cible de la femme à abattre. Un peu comme certains disent en parlant de femmes violées qu’elles l’ont tout de même un peu cherché. Notre solidarité pleine et entière est acquise à notre camarade Danièle Obono, ainsi victime d’une chasse aux sorcières. Un cocktail de trois ingrédients : le masculinisme, le racisme et… la politique. De l’extrême droite aux macronistes en passant par les sociaux démocrates, on s’entend pour tenter de la discréditer. Mais on est insoumis ou on ne l’est pas. En attendant, puisque les mots tuent, craignons qu’un extrémiste fanatisé ne décide un jour d’abattre celle dont on lui répète sans cesse sur tous les tons qu’elle incarne la menace mortelle qu’il croit peser sur son pays. Parce qu’au fond, l’accusation de ses adversaires, formulée de façon brutale et plus clairement qu’ils ne l’osent en général, est celle-ci : d’être une collabo des islamistes. Prions que ne naisse pas en France, nourri de propagande haineuse, un « nouveau Chevalier Templier » (« reborn Knights Templar »), mystérieuse organisation – il n’est pas prouvé qu’elle existe – dont se réclament les suprémacistes auteurs des massacres de masse en Norvège et en Nouvelle-Zélande. Explication de TV5 monde : « un réseau de militants nationalistes chargés de commettre des « actes héroïques ». D’après les déclarations durant l’audience du terroriste Breivik, l’organisation visait à « unifier tous les militants nationalistes d’Europe » en mettant en place des « cellules individuelles et autonomes » (…) pour diffuser l’idéologie nationaliste et inciter d’autres militants à l’action. » Sommes-nous tellement à l’abri qu’un terroriste ne vienne, un jour, mitrailler un meeting politique, une mosquée ou un rassemblement du collectif Justice pour Adama ? On saura alors quels intellectuels et politiciens auront armé son bras.