Août 282020
 

Au terme d’une complaisante énumération de faits-divers, Philippe Bilger désigne les coupables : les Arabes et les Noirs. Et il regrette que « l’infinie pudeur médiatique » empêche que l’on dévoile cette vérité (sic) aux citoyens. La fachosphère en mode #OnVeutLesNoms exulte et les ferments de guerre civile germent, germent, germent…

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Philippe Bilger sévit aussi sur Sud radio.

L’ancien juge d’instruction puis avocat général, Philippe Bilger, sarkozyste fervent puis repenti – rupture actée par ses critiques dans l’affaire tunisienne de Michèle Alliot-Marie en février 2011, n’en reste pas moins de droite. Il est même désormais, tranquillement, sur des positions d’extrême droite. Tout en le niant : « Je l’avoue : j’ai un peu peur de formuler cette interrogation, sont les premiers mots de son billet intitulé Qui ensauvage la France?. Je pressens les tombereaux d’insultes qui vont se déverser sur moi, notamment dans ce cloaque qu’est souvent Twitter, et dont la moindre sera l’accusation de penser et d’écrire comme le RN. [Rassemblement national] Ce reproche sera grotesque mais il constituera, comme d’habitude, l’argumentation simpliste de ceux qui n’en ont pas d’autre. » Voyons donc pourquoi on l’accuserait, comme il en a déjà la fulgurante intuition en débutant son texte, « de penser et d’écrire comme le RN ».

Marine Le Pen agite encore la peur de "l'ensauvagement"...en vue ...
Bilger dit exactement la même chose que Marine Le Pen, en osant s’en défendre !

Pour commencer, il utilise le mot ensauvagement. Comme Gérald Darmanin, récemment, ministre de l’Intérieur macroniste en flagrant délit de racolage électoraliste sur les terres de l’extrême droite. « Dans son discours de rentrée, prononcé à Henin-Beaumont ce dimanche 8 septembre [2019], Marine Le Pen a consacré un long passage au thème de l’insécurité en appuyant sa démonstration sur de récents faits divers afin de dénoncer “l’ensauvagement progressif de la société”, dont l’immigration serait selon elle en grande partie responsable », résume le Huffington post. Et que fait très exactement Philippe Bilger ? Il égraine les faits-divers, en une interminable succession de 18 questions commençant par « Qui ». Exemples : « Qui a agressé et tué Philippe Monguillot à Bayonne parce que conducteur d’autobus exemplaire, il avait voulu faire respecter l’ordre et la loi ? Qui, sans permis, sous l’emprise de la drogue, récidiviste, a été responsable de la mort de la gendarme Mélanie Lemée ? Qui à Seynod a insulté et agressé des chasseurs alpins faisant tranquillement leur footing ? » Il ne s’arrête pas à des faits précis et enfourche à l’occasion des généralités aussi approximatives que zemmouriennes : « Qui multiplie les refus d’obtempérer, se soustrait aux interpellations de la police avec des conséquences souvent dramatiques que leur mauvaise foi et le soutien médiatique imputeront systématiquement aux FDO [forces de l’ordre] ? Qui dans les cités et les quartiers sensibles se livre au trafic de stupéfiants, terrorise les résidents honnêtes, empêche les interventions de la police ou n’hésite pas à exercer des violences de toutes sortes contre elle ? Qui tend des guet-apens aux pompiers et à la police ? » Rappelons à ce stade que penser et écrire comme le Rassemblement national (RN) est pour l’auteur de ces lignes un reproche « grotesque ». Mais qui se cache donc (surprise ?) derrière l’insistant « qui » de l’avocat général en retraite ? Au long de son énumération, alors que le suspense devient insoutenable, Bilger lâche un indice : « l’anonymat systématique concédé aux transgresseurs [laisse] présumer leur origine ». Anonymat, origine ? Bon sang mais c’est bien sûr : l’homme qui ne pense ni n’écrit nullement comme le RN nous assène sa réponse, sur le ton de l’évidence : « On comprendra que ces interrogations sont de pure forme puisqu’à tout coup la responsabilité incombe à des fauteurs d’origine étrangère, maghrébine ou africaine, parés nominalement de la nationalité française grâce à un droit du sol qui n’a plus aucun sens puisqu’on l’offre mécaniquement à des générations qui haïssent ce cadeau et dévoient cet honneur. Sans oublier les clandestins qui se glissent dans ces bandes ou participent à ces exactions. » L’on comprend que l’ancien magistrat, assis sur un baril de poudre et allumant la mèche, s’attend à recevoir « des tombereaux d’insultes » : il vient tranquillement de nous exposer que ce sont des personnes d’origine étrangère, avec l’utile précision qu’ils viennent du Maghreb ou de l’Afrique – entre parenthèses, le Maghreb EST en Afrique, Bilger pense donc « des Arabes et des Noirs » – sont responsables de ce supposé ensauvagement de la France. S’agit-il de tous les Arabes et les Noirs ? Est-ce justement parce qu’ils sont Arabes ou Noirs ? L’ignoble billet ne le précise pas.

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Philippe Bilger police le discours de Génération identitaire.

Après avoir censément établi que les Arabes et les Noirs ensauvagent la France, la plume de fiel de Bilger déplore : « L’infinie pudeur médiatique avec laquelle, dans neuf cas sur dix, on occulte les identités est la preuve la plus éclatante de l’écrasante domination de ces Français dans le tableau pénal national et dans les prisons, notamment en Île-de-France ». Il ose parler de preuve : qu’ « on occulte les identités » prouve que ce sont des Arabes et des Noirs. Quel dommage que « l’infinie pudeur médiatique » empêche les médias d’annoncer en titre des journaux : « Encore un fait-divers qui implique un Arabe ou un Noir » ! C’est le mot-clef (hashtag) en vogue dans la fachosphère sur Twitter : #OnVeutLesNoms. Bilger poursuit : « Le refus entêté d’authentiques statistiques ethniques est également un indice capital qui explique la répugnance de la bienséance à prendre la mesure d’une réalité qui démolirait ses préjugés et sa bonne conscience. » Discours typique, ici particulièrement ampoulé, des autoproclamés « briseurs de tabous » chers au camarade Sébastien Fontenelle, qui pourfendent le « politiquement correct » et « la bien-pensance » (souvent de « bobos ») et se répandent partout pour déplorer qu’on les empêche de s’exprimer !

Délinquance et immigration : amalgame, vraiment ? - Le Salon Beige
Enfin une presse affranchie de « l’infinie pudeur médiatique » !

« Est-ce à dire qu’il n’existe pas des voyous français de souche ? Assurément il y en a mais leur rareté est démontrée par le fait troublant que, si l’un d’eux est impliqué – une agression contre une mosquée à Bayonne par exemple -, on peut être sûr qu’on aura son identité complète, son âge, son passé judiciaire et sa structure familiale. Ces données sont si chichement communiquées dans les comptes rendus habituels qu’aucune hésitation n’est possible et l’appréciation quantitative vite opérée. » Et la question vite répondue ? Des Arabes et des Noirs, on vous dit ! On apprécie au passage l’estimation de la « rareté » des « voyous français de souche ». Un sur dix, à la louche du pyromane.

Steeve Briois, maire RN d’Hénin-Beaumont

Penser et écrire comme le RN ? Il faut décidément être d’une mauvaise foi abyssale pour le contester. « Qui ensauvage la France ? S’accorder sur le constat que je propose ne permettra pas de résoudre magiquement le problème lancinant causé par ces jeunes Français d’origine africaine ou maghrébine et ces étrangers en situation irrégulière (il va de soi que tous ne sont pas à stigmatiser dans ces catégories) [ouf !] mais au moins ne nous voilons plus la face. » D’accord avec la formation d’extrême droite sur un pseudo-constat (les Arabes et les Noirs coupables de tout), Bilger propose-t-il les mêmes « solutions » ? « On a trop longtemps refusé de répondre à cette interrogation, non pas à cause d’une quelconque incertitude mais parce que la vérité nous aurait encore plus confrontés à notre impuissance. Le désarroi d’une démocratie désarmée, répugnant à user de tout ce qu’elle aurait le droit d’accomplir, aspirant à l’ordre mais sans la force ! » Voilà qu’il appelle donc, comme l’extrême droite, à un durcissement de la répression. On se pince : les violences policières ne sont-elles pas déjà bien assez proliférantes ? Généralisons-les ! Systématisons-les. Contre l’ensauvagement, ensauvageons-nous !

Maréchal, la revoilà

« L’immigration légale n’est pas coupable mais la clandestine contre laquelle jusqu’à aujourd’hui on lutte mal, poursuit le juriste blogueur. Et, au sein de la première comme de la seconde, les délinquants déshonorant l’une et profitant de l’autre. » Pour être juste, notons ici un vrai désaccord avec le discours du RN, pour lequel toute immigration est « coupable ». Mais il est en réalité purement formel, puisque parfaitement incohérent : comment Bilger peut-il dénoncer « ces jeunes Français d’origine africaine ou maghrébine » et en même temps avancer que seule l’immigration clandestine – donc par essence composée d’étrangers, pas de Français – serait « coupable » ? Pourquoi écrire pareille ânerie ? Mais passons à la suite : « Les solutions pour combattre cette réalité, après en avoir pris acte sans barguigner, imposeront, outre un courage politique de tous les instants et une politique du verbe sans complaisance, expulsions et éloignements à un rythme soutenu, une action équitable dans sa rigueur, une police et une gendarmerie accordées avec une justice sans faiblesse, une exécution des sanctions efficace et réactive et, surtout, le retour des peines plancher sans lesquelles la magistrature ne tirera jamais assez la conséquence de certains passés judiciaires. » Traduisons : traque des sans-papiers, inhumanité de la séparation de familles, de l’expulsion de mineurs scolarisés, charters de la honte, durcissement généralisé et impitoyable de la répression… Voilà ce que propose Bilger pour lutter contre l’ensauvagement. Comme le RN. « Il conviendra de remettre en discussion, dans un débat honnête, sans excommunication, le droit du sol. » Voilà, il ne manquait plus que cela au catalogue des « solutions » de l’extrême droite, la remise en cause du droit du sol, qui veut que qui naît en France est Français. Bilger l’enfourche : « Envisager, aujourd’hui, dans une France éclatée, son effacement n’est ni inhumain ni contraire à une tradition dont les effets sont devenus dévastateurs. Ou alors continuons à révérer, contre vents et marées, celle-ci, et laissons l’ensauvagement de notre pays se poursuivre. Notre noblesse abstraite sera garantie mais non la sauvegarde de notre nation. On sait qui ensauvage la France. Ne fermons plus les yeux. Apeuré légèrement en commençant ce billet, je le termine en le jugeant nécessaire et, je l’espère, convaincant. » L’avocat-général en retraite s’imagine-il donc que ses lecteurs auront été convaincus que la violence de la société française sera réglée par une lutte sans merci contre l’immigration clandestine des Arabes et des Noirs et la remise en question du droit du sol, qui fabrique mécaniquement de futurs délinquants français nés de parents étrangers Arabes et Noirs ? Qu’il nous soit permis d’en douter, tant est grotesque ce parallèle caricatural entre violence et immigration, dont la démonstration repose exclusivement sur le fait que l’on ne cite pas les noms des criminels, pour ne pas révéler leur origine ethnique. Mais c’est le fantasme xénophobe basique. Que propage ainsi un éminent juriste, apportant sa caution intellectuelle à un discours raciste et semant ainsi des graines de guerre civile en France.

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