Bachelot, Touraine, Buzyn, Véran… Les ministres de la Santé de droite, sarkozystes, hollandistes ou macronistes, se succèdent pour enfoncer les clous du cercueil de l’hôpital public. Chronique d’une catastrophe annoncée.

C‘est quand même assez incroyable que huit mois après la crise, on soit dans un système où on n’a pas augmenté le nombre de lits de réanimation ou d’hospitalisations, on l’a même réduit. Paradoxalement, au mois d’octobre, nous risquons d’avoir moins de moyens hospitaliers à la disposition des malades du Covid qu’au mois de mars. » Voici l’alerte lancée par le professeur Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou. Il a raison et c’est un scandale. « Nous sommes à l’os en matière hospitalière, nous n’avons pas de marge de manœuvre et la Covid arrive en faisant déborder le vase qui était déjà extrêmement plein. Toutes ces mesures ne sont prises que dans un seul but, c’est de faire en sorte de ne pas submerger le système de santé. Aujourd’hui, on paye un système de santé qui s’est appauvri. » C’est exactement ça. Si les restaurants et les bars ferment à nouveau dans la Métropole Aix-Marseille Provence dimanche soir (pour une semaine finalement, au terme de laquelle on réévaluera la situation) et en Guadeloupe, ce n’est pas que la fameuse « deuxième vague » – expression entre guillemets pour interroger sa pertinence – serait particulièrement submersive, mais bien parce que le système de santé, « à l’os » comme le diagnostique notre professeur, ne peut assumer de surcharge. Autrement dit, le problème n’est pas sanitaire. Il résulte de choix politiques : il n’y a pas assez de lits, pas assez de soignants. Depuis quand ? Longtemps.

Problème : le soignant est aussi un politique, RPR puis UMP et aujourd’hui LR avec une belle constance, ancien eurodéputé, actuel maire de La Garenne-Colombes et président de la fédération LR des Hauts-de-Seine. Et que disait-il de la loi Bachelot, en 2009, pour la défendre ardemment ? « La loi Bachelot permet de sauver l’hôpital public en l’organisant mieux ». Nous sommes en 2020, onze ans plus tard, et il est donc manifeste que la loi Bachelot a échoué à « sauver l’hôpital public », si toutefois tel était son objectif authentique. Mais qu’a-t-elle produit comme résultat, dès lors ?

La loi du 21 juillet 2009 – tiens, pendant les vacances ! – « Hôpital, patients, santé et territoire », dite loi Bachelot pour la ministre de la Santé qui l’a portée, Roselyne Bachelot-Narquin, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a jeté les bases du système de santé français tel qu’il fonctionne encore aujourd’hui. Quatre ans après sa promulgation, André Grimaldi, chef de service à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), la dénonçait pour avoir « anéanti le service public hospitalier », pas moins : « cette loi a supprimé « le service public hospitalier » pour le remplacer par « des établissements de santé aux statuts variables ». Elle a, au nom de la lutte contre les abus du pouvoir médical, supprimé tout pouvoir soignant pour donner tout le pouvoir aux gestionnaires. Elle a signifié formellement la fin des services qui regroupent les équipes soignantes, remplacés par des « pôles » de gestion. Elle a consacré le pouvoir du directeur, « seul patron à bord », sous la tutelle étroite du directeur de l’ARS (ndlr : Agence régionale de santé), véritable préfet sanitaire aux ordres du gouvernement. (…) Le seul objectif fixé à cette immense machine bureaucratique est celui de la rentabilité promue par la généralisation de la tarification à l’activité (T2A). »
Feu Bernard Debré (décédé le 13 septembre dernier), alors député UMP donc de la même formation politique, tirait à boulets rouges sur cette loi avant même qu’elle ne soit votée : « Nous sommes en révolte parce que nous croyons que le pouvoir qu’ont les médecins de proposer un projet médical pour l’hôpital ne leur appartiendra pas. Ce sera le directeur (qui l’aura) avec une vision uniquement comptable. » Peut-être réagissait-il davantage en soignant, en professeur de médecine, ancien chef du service d’urologie de l’hôpital Cochin qu’il était, qu’en suivant l’idéologie libérale de la loi Bachelot. Au contraire de Philippe Juvin, pas encore touché par la grâce. La loi Bachelot a ainsi consacré la logique de « l’hôpital-entreprise ». Et depuis ?

– Sérieux ?
« Tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont mené cette politique de casse pendant ces «trente désastreuses», récapitule l’économiste Jean Gadrey, membre du Conseil scientifique d’Attac, dans Politis. Il en a fallu, des lois austéritaires, pour cela ! Rien qu’au cours des onze dernières années, on a eu la loi Bachelot de 2009, qui avait pour objectif de supprimer 22 000 postes et de fermer 16 000 lits d’hospitalisation en installant à la direction des hôpitaux des managers non médicaux. En 2015, la loi de Marisol Touraine et Manuel Valls était tout aussi «ambitieuse» dans la casse. Depuis le début du règne d’Emmanuel Macron, le tour de vis s’est poursuivi en dépit des puissants mouvements des personnels soignants. La loi Buzyn de 2019 a prévu notamment de «déclasser» environ 300 hôpitaux de proximité en fermant de nombreux services d’urgence et de chirurgie et des maternités. »
Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui. Nous payons les conséquences de trente ans de politiques libérales. Depuis 1991, la densité de lits d’hôpital par habitants a baissé en France de 48% ! Macron, à la suite de la crise sanitaire, va-t-il améliorer les choses ? Il n’en a en tout cas rien fait pour l’instant, alors que l’électrochoc du confinement aurait dû le pousser à agir, mieux qu’avec un « Ségur » bidon. C’était l’occasion, le moment idéal. Mais l’hypocrite petit banquier d’affaires ne renoncera jamais à ses dogmes, dussent-ils précipiter la France dans le mur. Alors qui ? Un LR, un PS, responsables complices de cette casse ? Ne les croyez pas s’ils l’osaient promettre. Un programme politique a chiffré l’effort qu’il propose de mettre en œuvre : le recrutement de 62 500 soignants et médecins à l’hôpital. Pour cela comme le reste, un seul choix donc, celui de L’Avenir en commun.