Extension du « secret des affaires » et journalistes sommés de déguerpir durant les manifestations : au secours, la Macronie mène une attaque frontale contre la liberté d’informer, pilier de la démocratie ! « Essayez la dictature » ?

Nous avons vu comment la Macronie a voulu porter atteinte à la liberté de manifester, empêchée par le Conseil d’État, et à la liberté d’expression et de communication, contrecarrée cette fois par le Conseil constitutionnel. Ce qui confirme une dérive autoritaire et son escalade répressive incontestable au vu des violences policières ayant entre autres accablé le mouvement des Gilets jaunes. Eh bien un nouveau cran est haussé avec une double attaque contre la liberté d’informer. C’est d’abord le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) paru le 16 septembre dernier, ainsi résumé par Libération en titre : Maintien de l’ordre: journalistes et observateurs pourront être interpellés en couvrant des manifs. Explication : « Le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre souligne que les ordres de dispersions de manifestations ne connaissent nulle exception, au risque d’empêcher la presse et les ONG de témoigner d’éventuelles violences. Journalistes et observateurs pourront être interpellés en couvrant des manifs. » Textuellement : « le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations, annonce tout-de-go le ministère de l’Intérieur. Dès lors qu’ils sont au cœur d’un attroupement, ils doivent comme n’importe quel citoyen obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser.»

Réaction au SNMO de Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ) : « Je pense que le ministre [Gérald Darmanin, ndlr] méconnaît la liberté de la presse, il est dans le déni. Notre confrère David Dufresne a effectué un travail très sérieux en documentant 117 cas de journalistes empêchés de travailler par les forces de l’ordre depuis un an et demi. Pour le SNJ, c’est 200 journalistes qui sont concernés. Ce texte n’essaie pas de comprendre notre métier, il est fait pour restreindre la liberté d’informer. On veut transformer les journalistes en propagandistes (…). Nous allons donc réaffirmer la liberté des journalistes, qui est de pouvoir être témoin de tout, partout et en tout moment.» La syndicaliste parle de journalistes « empêchés de travailler », mais c’est en fait pire, comme l’analyse l’historienne et politologue Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférences en science politique à l’Université Paris VIII et autrice de Répression – L’État face aux contestations politiques, dans les colonnes des Inrockuptibles : « On observe un ciblage des journalistes depuis au moins la ZAD (Zone à défendre, ndlr) de Notre-Dame-des-Landes en 2014, où de très nombreux journalistes avaient déjà été blessés. Depuis ce moment, beaucoup de journalistes sont victimes de la répression : soit ils sont blessés, soit leur matériel est saisi, soit ils sont inculpés et parfois jugés, comme dans le cas de Gaspard Glanz. Cela témoigne d’une volonté de cibler les journalistes qui sont sur le terrain et qui rendent visible la brutalité de la police et de l’État. »

Mais revenons à nos moutons : le SNMO dispose que si les policiers ordonnent la dispersion, journalistes et observateurs doivent obtempérer. C’est-à-dire quitter le théâtre d’opérations et ainsi ne plus être en mesure de témoigner de la suite des événements, bref empêchés d’exercer leur métier d’information des citoyens. Quand on nie les violences policières, il est gênant qu’elles soient exposées au grand jour dans les gazettes et sur les réseaux. « L’emploi de la force par les forces de sécurité intérieure doit être absolument nécessaire, strictement proportionné et gradué, avec des moyens adaptés », proclame le document ministériel page 25. Qui pourra le dire si ce n’est pas le cas ? Notons au passage que cette décision d’obliger journalistes et observateurs à déguerpir sous peine d’être embarqués lors des manifestations et de restreindre aussi manifestement leurs droits ne passe pas par une loi, débattue et votée au parlement. Non, juste le ministère de l’Intérieur qui pond un texte. La police qui fait la loi, en fait, tranquille. Et une police très politique. Ainsi va la démocratie en Macronie.
Sauf que ce n’est finalement peut-être pas aussi simple : « Un recours au Conseil d’État contre le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre est engagé, nous apprend Reporterre. Car syndicats, sociétés de journalistes et ONG des droits humains ne décolèrent pas face à des mesures qui les empêcheront de couvrir correctement les manifestations. »

La riposte concentre d’abord ses feux sur une autre phrase de l’exposé de la nouvelle doctrine macronienne du maintien de l’ordre : « Seuls les journalistes dont l’«identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation (sic)» pourront porter des protections, indispensables aujourd’hui comme l’atteste le nombre de blessés lors des manifestations de 2019 et 2020. Mais qui jugera de leur supposée provocation? », interroge le communiqué de la Société civile des auteurs multimédia. Les mêmes qui vous collent de l’outrage et de la rébellion. Et le diable se nichant dans les détails, que signifie cette « identification confirmée » ? « Autoriser seulement les journalistes dont «l’identification est confirmée» et donc détenteurs d’une carte de presse, exclut de fait ceux et celles qui n’en ont pas et qui pourtant informent, soit sur les médias indépendants du net, soit en réalisant des documentaires. » Reporterre souligne également ce point : « pour couvrir une manifestation, un journaliste devra désormais être accrédité et posséder une carte de presse. Une disposition inadmissible pour une quarantaine de société de journalistes qui ont publié le 22 septembre un communiqué, demandant au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de corriger ce nouveau schéma qui porte atteinte à la liberté d’informer. Cette tribune rappelle que l’exercice de la profession de journaliste, telle que définie dans le code du travail, ne nécessite pas la possession d’une carte de presse. (…) Un constat partagé par l’ONG Reporters sans frontières. «La profession s’est précarisée et un grand nombre de journalistes ne peuvent pas détenir la carte de presse. Il est d’autant plus difficile pour eux de s’enregistrer car ils sont souvent prévenus au dernier moment qu’ils vont couvrir une manifestation», explique à Reporterre Pauline Ades Mevel, porte-parole de RSF. »

– Pas con.
Suite à la levée de boucliers, Gérald Darmanin a tenté un rétropédalage, le 23 septembre au micro de France Inter, plaidant un «malentendu» avec les journalistes : «On n’a jamais demandé une carte de presse pour être journaliste sur une manifestation. Je suis bien conscient qu’il y a des journalistes qui n’ont pas de carte de presse. […] Par ailleurs ils ont le droit de rester dans la manifestation même s’il y a une question de sécurité lorsque les manifestations deviennent violentes.» Faut-il le croire, ou croire ce qui est inscrit noir sur blanc dans le SNMO ? Affaire à suivre.
Les risques industriels désormais classés secrets des affaires
Une atteinte macroniste aux libertés fondamentales chassant l’autre, voici revenir le sinistre « secret des affaires ». Rappel : la loi relative à la protection du secret des affaires du 30 juillet 2018, adoptée en plein été donc et selon une procédure accélérée – c’est ça aussi, la démocratie macronienne – « met sérieusement en danger l’équilibre démocratique et constitutionnel de notre pays. Elle érige le secret des affaires en un principe général et relègue la liberté d’information au rang de simple exception, sans poser de cadre précis. » Conséquence : « Les lanceurs d’alerte seront systématiquement traînés en justice, avant même de pouvoir faire la preuve de leur bonne foi. Les représentants du personnel pourront être poursuivis pour avoir diffusé des informations aux salariés. (…) Désormais, la loi donnera aux entreprises le pouvoir de poursuivre tous ceux qui oseront révéler des informations sensibles dans l’intérêt général. (…) Nous refusons qu’une loi votée au nom du peuple soit instrumentalisée afin de bâillonner les citoyens. Nous ne pouvons accepter que des lobbys, quels qu’ils soient, dictent l’information. » Qui parle ? Qui donc a eu beau ainsi vilipender solennellement cette loi, sans ralentir le moins du monde le bulldozer libéral aux ordres patronaux ?

Le collectif Stop secrets des affaires, signataire de cette tribune titrée Secret des affaires : monsieur le Président, en marche vers la censure? et dont la pétition a réuni la signature de 550 000 citoyens et qui rassemble 52 organisations et syndicats : Anticor, les Amis de la Terre, CCFD-Terre solidaire, Greenpeace, Ligue des droits de l’Homme, Syndicat des avocats de France, Syndicat national des journalistes et SNJ-CGT, Snesup-FSU, Syndicat national des chercheurs scientifiques, Solidaires, plus 38 sociétés des journalistes, des rédacteurs et organes de presse (entre autres Radio France, France télévisions, Libération, L’Obs, Mediapart, Bastamag, Fakir, mais même aussi BFM TV, Les Echos, Europe 1, TF1, Le Point, Le Parisien, Le Journal du dimanche)… Avec les prestigieuses signatures individuelles d’Élise Lucet, Paul Moreira, Fabrice Arfi, Laurent Mauduit, Hervé Kempf…
Pourquoi vous reparler aujourd’hui du secret des affaires ? Parce que son champ vient d’être étendu, par la grâce d’un amendement gouvernemental glissé dans la loi Asap, pour Accélération et simplification de l’action publique. Ce texte mérite un billet à lui tout seul ; en attendant, concernant notre sujet du jour, son article 25 bis A « précise que les citoyens ont droit à l’information concernant les risques [industriels] auxquels ils sont soumis… mais dans la limite du secret des affaires », synthétise Reporterre. Tout l’art du « en même temps » dans ce texte : « Toute personne a un droit à l’information sur les risques majeurs auxquels elle est soumise dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde qui la concernent. Ce droit s’applique aux risques technologiques et aux risques naturels prévisibles », mais en même temps « Dans ce cadre, ne peuvent être ni communiqués, ni mis à disposition du public des éléments (…) dont la divulgation serait de nature à porter atteinte à des secrets de fabrication ou au secret des affaires ». Pour fêter le premier anniversaire de la catastrophe industrielle de Lubrizol, il fallait oser. Mais c’est à ça qu’on les reconnaît.